7

Critique de Jupiter's Legacy #1

par Jack! le lun. 14 mars 2016 Staff

Rédiger une critique
"A la fin des années 1920, un petit groupe d'amis mené par le charismatique Sheldon Sampson voyage à travers le continent Africain pour trouver une mystérieuse île entrevue dans un rêve. Revenus au pays, pourvus de super-pouvoirs, Samson et sa clique deviennent les premiers super-héros d'Amérique, protégeant la veuve et l'orphelin, sauvant les chats dans les arbres, et affrontant les menaces cosmiques pour promouvoir la vérité, la justice et les tartes aux pommes. Presque 80 ans plus tard, la jeune génération accroc à twitter ne partage pas leur façon de faire..." Dégommons d'emblée l'éléphant obèse qui se tient au centre du magasin de porcelaine, Mark Millar n'a jamais vraiment écrit de ''comic-book politique'', si ce n'est en surface, contrairement à ce que déclare le préambule de Jupiter's Legacy - Tome 1 publié par Panini comics. Les super-héros de l'auteur n'expriment pas plus d'opinion dans The Authority ou The Ultimates que ne pourrait le faire un participant du Loft Story ; et si l'archétype du génie comme Lex Luthor dans Red Son ou Red Richards dans Ultimate Fantastic Four se targuent de pouvoir rééquilibrer le budget national en deux coups de cuillère à pot, ils se gardent bien d'expliquer comment. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de voir Walter Sampson être coupé par son frère rétrograde Sheldon lorsqu'il s'apprête à révéler les clés de son programme économique à la maison blanche dès le premier épisode de Jupiter's Legacy. Non. Mark Millar parle rarement politique si ce n'est pour lui cracher au visage. Son sujet de prédilection, c'est le star-système, un milieu qu'il connait d'autant mieux et qu'il a porté au nue dans les comics à une époque où le spectatorat au sens large se gavait d'émissions de télé-réalité ; s'instruit encore des derniers faits et gestes d'une vedette en permettant aux Closer, Outlook et autres People de perdurer ; et devient même la star de son propre show égotiste sur Facebook. C'est l'industrie de l'éphémère, l'opium du peuple qui aide à faire oublier les déconvenues politiques et Millar ne s'est jamais caché de la galvaniser. Dénoncer sans entrer dans les détails ; faire de l'audience ; du choc ; telles sont les trois règles fondamentales des récits de Millar. C'était d'ailleurs tout le sujet de la série The Ultimates (2002) puisqu'elle racontait la formation d'un groupe de super-célébrités gouvernementales dont les rares missions servaient à dissimuler leurs propres dérives (Hulk ; la rupture Hank/Janet ; Hulk encore ; Thor, figure christique et controversée ; puis les Libérateurs, coalition qui condamne l'interventionnisme américain - seul l'arc contre les Chitauris échappe à ce constat). La relecture moderne et aboutie des Vengeurs ne présentait jamais des héros, juste une bande de Paris Hilton en folie, anxieux de voir apparaître leur nouvelle sextape sur la toile, donc très éloignés de leurs modèles originaux. Ce conflit des générations, c'est un thème récurrent et le postulat de Jupiter's Legacy. Dès le départ, Millar se moque de la vieille garde à la morale inflexible comme de la nouvelle génération dépravée. Il ne fait pas dans la demi-mesure, ses héros se résument à un unique trait de caractère, obtus ou superficiel, campant sur leurs positions sans que l'auteur ne cherche à arrondir les angles. C'est ce qui a fait le succès de Civil War après tout. Il en rajoute une couche dès le deuxième numéro en ''tuant le père'' (obsessionnel chez l'auteur depuis Wanted, 2006), loupant de peu le véritable intérêt de la notion d'héritage (Legacy) en évitant sciemment de s'intéresser à la transmission entre le super-papa - ce gros tas de rien incompréhensif - à ses successeurs en mal d'amour, pour retomber dans un climax à la Michael Bay. Là où le récit amorce un virage plutôt bienvenue, ayant du mal à établir une relation, même conflictuelle, entre la première et la deuxième génération de super-héros, c'est lorsqu'il fait un bond de huit ans dans l'avenir pour présenter une troisième voie en la personne de Jason. Ce jeune garçon optimiste, naïf aussi, fils d'un super-vilain et de la fille du plus grand super-héros, nourri aux histoires de l'âge d'or, permet à l'auteur de se réconcilier avec le fanboy qu'il aime tant humilier (Kick Ass). Le véritable héritage de Jupiter, c'est lui, comme une une pique lancée à l'intention de l'industrie. Parce que quoi qu'on pense de Millar, il a toujours senti le vent tourner. S'il n'a eu aucun mal à présenter des héros bourrés de remords (ou bourrés tout court), il n'est pas étonnant de le voir se réconcilier avec des figures plus naïves (bientôt avec Huck ''qui rime avec f...'') à une époque où le bateau du super-justicier torturé (Nemesis) et terre-à-terre prend l'eau, abattu en mer par le héros décomplexé et spectaculaire (n'oublions pas que Millar comparait sa dernière série Chrononauts au film Les Gardiens de la Galaxie). Et en terme de spectaculaire, Millar comme son compère Frank Quitely s'y connaissent. On pourrait même dire que le spectaculaire ronflant, à coup de destruction de villes (quasiment toutes les capitales dans The Authority) ou de monuments historiques (la statue de la liberté dans The Ultimates), c'est en partie eux qui lui ont donné ses lettres de noblesses à une époque où Marvel et DC Comics avaient peur de faire tomber le moindre immeuble car ça signifiait la mort des contribuables. Il y a d'ailleurs fort à parier que la deuxième partie de Jupiter's Legacy, à paraître dans un ou deux ans, fera la part belle à un affrontement final pétaradant entre les ''super-héros'' ex-super-vilains et les ''super-vilains'' ex-super-héros, l'auteur s'amusant à toujours brouiller les pistes. Et c'est là le deuxième point noir de ce premier volume. Jupiter's Legacy n'est, en définitif, rien de plus que ce que les deux auteurs ont déjà produit, mais à une époque où le scénariste recycle à tour de bras et où l'artiste a toujours plus de mal à assurer un rythme régulier comme le prouve ses planches moins fouillées (on le remarque non seulement dans ses décors rapidement esquissés, voire parfois inexistant, mais aussi dans sa conception des super-héros interchangeables alors qu'il s'amusait, il y a une dizaine d'années, à pasticher des héros reconnus à chaque case de The Authority). Et, ce, malgré le soin apporté à l'expressivité corporelle et à un sens inné de l'action (l'artiste situe l'action quelques millièmes de secondes après l'impact, conférant à la scène une synergie encore inégalée). Après tout, même lorsque Frank Quitely est pressé, il n'en reste pas moins l'un des plus grands artistes du médium, si ce n'est le plus grand. Est-ce que Jupiter's Legacy est un mauvais comic-books ? Loin de là. Mais le chef d'œuvre annoncé par Millar, ''sa grande saga super-héroïque'' comme il l'appelle, tarde à se faire sentir. Comme souvent, l'auteur s'associe les talents d'un grand artiste sur un projet qui gagnerait à être peaufiné. Au lieu de quoi, Jupiter's Legacy est un joli pitch qui gagnera à être adapté à l'écran (un milieu où les possibilités des récits de super-héros restent encore inexplorées), une fois qu'un cinéaste lui aura retiré toutes velléités intellectuelles pour le replacer comme le spectacle décérébré qu'il est, à l'instar de Kick Ass et Kingsman : The Secret Service, storyboard de luxe prêt à l'emploi. En attendant la suite de ce trop long prologue, espérons que Jupiter's Circle (l'interlude qui se déroule dans les premières années d'activité de Sheldon Sampson et ses super-copains) donnera un peu plus d'épaisseur à la grande tapisserie imaginée par l'auteur. D'ailleurs, Millar aurait peut être mieux fait de raconter sa saga dans l'ordre pour donner sa juste mesure aux scènes catastrophes. Parce que Jupiter's Legacy est à l'image de la mort du héros, une saga supposée poignante mais dont on se fout un peu si ce n'est pour son coté spectaculaire et, parfois, ses dialogues affûtés.

En bref

7
Jack! Suivre Jack! Toutes ses critiques (44)
Autres critiques de Jupiter's Legacy
Boutique en ligne
8,99€
Boutique en ligne
8,99€
Boutique en ligne
8,99€
Boutique en ligne
8,99€
Laissez un commentaire
Commentaires (0)