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Critique de Fox-Boy #2

par Jack! le mer. 15 juin 2016 Staff

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“Des erzats de héros ! Voilà ce qu'il faudrait faire.” Je vous rassure, je n'ai pas choisi cette citation de Laurent Lefeuvre pour dénigrer Fox-Boy qui est, à mon avis, un super-héros aussi surprenant que le fut Spider-Man dans ses jeunes années. Pol Salsedo partage d'ailleurs certains traits avec Peter Parker : c’est un héros adolescent qui lâche le costume (comme Spidey tous les 36 du mois), il entretient une relation houleuse avec les filles et découvre même, de temps à autre, sa parente dans l'encadrement de la porte après une nuit agitée (« Tante May, c'est toi ? »). Non, parlons plutôt d'ersatz dans ce qu'on présume du ''comics français'', terme qui ne veut absolument rien dire puisqu'il se traduit “bande-dessinée américaine française” (?!?) mais désigne maladroitement un “super-héros à la sauce française”. Le super-héros, gardien d'une jeune nation en construction, est fortement lié à son fief urbain, à la mégalopole qui n'est qu'une facette de la gigantesque New York (Gotham, Metropolis, Star City, etc.). En ce sens, il n'est pas rare de contempler une couverture où Spider-Man se balance devant un énorme immeuble ou même de voir Kamandi ramer devant la statue de la Liberté dans un futur où la civilisation a pourtant disparu (c'est dire !). C'est peut-être aussi ce qui explique l'échec du super-héros français tandis que leurs créateurs tentent de décalquer le modèle américain sans lui chercher son langage propre. Un peu comme si la superposition entre le super-héros et le décor étalé, voire éclaté, signe d'un vieux pays qui s'est construit en largeur et non pas sur la hauteur, sonne faux*. Ce qu'on a par contre, c'est une Histoire. Une Histoire faite d'un enchevêtrement de légendes et de croyances. Une richesse pluri-culturelle marquée par les diverses invasions vikings, romaines et toutes celles qui se situent entre les deux. Ce que nous partageons avec nos cousins britanniques, par exemple, c'est un fond surnaturel. Il n'est d'ailleurs pas étonnant qu'Alan Moore invoque les légendes Arthuriennes lorsqu'il reprend en main Captain Britain (le Captain America d'Albion) ou bien que les plus grands ennemis du Juge Dredd soient les cavaliers de l'Apocalypse et, ce, même si la Méga-Cité Un se présente d'abord comme une Amérique dystopique. D'une certaine manière, notre héros à la française semble être fait pour ce petit “on ne sait quoi” d'ésotérique (alors que l'américain s'injecte du nucléaire en intraveineuse tous les matins) et son champ de bataille est peut être plus proche de Brocéliande qu'un énième gratte-ciel. C'est donc en toute logique que Fox-Boy 2 : angle mort voit notre jeune héros s'éloigner de ses camarades ; de la ville ; du monde (auquel il ne reviendra pas vraiment dans ce volume) pour se perdre dans une France rurale où se côtoient un Loup-Garou et des Trolls au fond du puits. En définitive, Fox-Boy se détourne du premier tome, tentative d'aventure urbaine bienvenue qui se concluait sur la proposition d'un magnat de l'industrie. Proposition inexploitée mais comme le dit si bien Laurent Lefeuvre, il « n'offre jamais rien sans raison ». En attendant, ce deuxième volume s'ouvre sur un récit "catastrophe", témoignant du lourd bagage français puisqu’il conjugue le vécu en temps de guerre et la bête du Gévaudan. A l'instar de l’arc de Daredevil où l'homme sans peur et une classe de jeunes aveugles se perdent dans la tempête après un accident de bus, Fox-Boy est avalé par les intempéries. Les capacités sensorielles du héros sont en rade. Le lecteur est aussi paumé que le garçon qui vient de renfiler sa cagoule de renard pour sauver une petite fugitive. On ne distingue plus trop le haut du bas, la gauche de la droite. Comble de tout, on a une bête féroce aux fesses. En parallèle à cette sensation de danger, très efficacement rendue, L. Lefeuvre tente une première mise en abyme - plutôt un récit enchâssé - où un vieux narrateur refile la malédiction du loup-garou en racontant son histoire, rappelant l'héritage orale des légendes. Ce faisant, il condamne son successeur à n'être plus qu’un animal sauvage qui, plutôt que de sauver la petite fille, devient son tourmenteur. Le récit, amère, se conclue sur un Pol qui a bien du mal à se sentir super-héros. Sa quête est loin d'être finie, comme le prouvent les derniers mots qui ponctuent un joli « à suivre ». Par ce simple fait, Laurent Lefeuvre réaffirme l'entreprise feuilletonesque de son œuvre. Une œuvre que l’auteur ne peut s'empêcher de passer au crible de l'analyse méta-littéraire lors d'un deuxième arc des plus ambitieux. La série s'inscrit pourtant déjà comme un hommage à tout un pan de la culture française, partant des couvertures de Lug peintes par le regretté Jean Frisano à la création de Photonik par Ciro Tota. Ce faisant, l'auteur rassemble tous ses jouets et étend devant les yeux du lecteur un univers imaginaire vaste et cohérent (qui comprend les nombreux super-héros des fausses éditions ROA et les héros de la bande-dessinée Tom et William) tout en questionnant l'absence des super-héros dans l'hexagone. CQFD. Sur ce pari, L. Lefeuvre suit les traces de certains grands expérimentateurs de la bande-dessinée américaine comme le sous-estimé Bob Haney (allez donc lire “The Brave and the Bold #124”), Steve Gerber (Howard the Duck) et bien entendu Grant Morrison (Les Invisibles) qui se rappellera de lui-même aux lecteurs d'Animal Man lorsque Fox-Boy rencontre nul autre que son créateur. Et quel meilleur décor pour ce festival qu'une bonne Crise - comprendre une saga événement ou "crossover" - qui reste l'apanage des super-héros américains ?** En l'absence de super-héros français, Fox-Boy n'a d'autre choix que de se tourner vers... Là où Laurent Lefeuvre se fait malicieux c'est lorsque, invoquant des centaines d’ogres et de gobelins que n'aurait pas renié le King Kirby, l'artiste révèle des chevaliers “en armure” que le lecteur reconnaîtra aussitôt. Il s'en donne même à cœur joie lors de splash-pages et double-pages vertigineuses où Fox-Boy travaille main dans la main avec les héros de son enfance. Si l’artiste invoque de nombreux talents (on ne les a pas tous cités heureusement, il reste Bernie Wrightson, Alan Davis, ou encore Paul Smith par petite touche), voire une iconographie forte (comme l'horreur à la “EC Comics”), ce n'est jamais lors d’un mauvais panachée. Au contraire, on est loin d’un simple exercice de plagiat. Les différents styles ont été dévorés et digérés au fil des ans. Et franchement, c'est beau. Non, vraiment, c'est magnifique. Je crois que c'est un des illustrés les plus impressionnants qu'il m'ait été donné de lire cette année. Et j'en ai lu un certain nombre. Rien que la couverture est une ode au bon goût. J'ai eu l'impression de me retrouver devant mon premier exemplaire de Swamp Thing illustré par Stephen R. Bissette. S'il fallait lui faire un petit reproche, tout au plus pourrions-nous regretter l'absence de décors. Mais là encore le fait que le premier récit se joue comme une "catastrophe naturelle" fait sens. Et puis vous me direz, ça sert mon propos initial puisque si le super-héros risque le décalage avec son environnement, pourquoi s'embêter à le dessiner ? Bon, ce n’est pas aussi simple mais on dira que ça ne dessert pas forcément l'album. Reste que Laurent Lefeuvre est un artiste épatant. En conclusion, dire qu’on attendait ce deuxième tome de Fox-Boy est un euphémisme. Malgré un goût de trop peu, le premier avait de telles qualités qu'on ne pouvait s'empêcher de penser qu'on tenait entre les mains un héros au potentiel hors norme (comme la première fois qu’on a ouvert un comic-book pour découvrir cette énorme boite à jouets). Par son ambition, “Fox-Boy 2 : angle mort” tient donc toutes ses promesses et affirme qu’un super-héros français existe. On rêve maintenant de voir Fox-Boy grandir dans de nouvelles aventures plus époustouflantes les unes que les autres. Si ce deuxième tome est une indication de l’escalade qui attend notre héros, on a pas fini d’être soufflé. __________________________________________________ *On notera d'ailleurs que Serge Lehman triche dans ''Masqué'' puisque la magie améliore la structure urbaine qui marque alors la renaissance d'un super-héros à la française. **Ironiquement, on notera que si le terme de Crise est typique de DC Comics (Crisis on Infinite Earth, Infinite Crisis, Identity Crisis), l'artiste pioche plutôt chez les héros de Marvel. [On sait dans quel camp tu es !]

En bref

Dire qu’on attendait ce deuxième tome de Fox-Boy est un euphémisme. Malgré un goût de trop peu, le premier avait de telles qualités qu'on ne pouvait s'empêcher de penser qu'on tenait entre les mains un univers et un héros au potentiel hors norme (comme la première fois qu’on a ouvert un comic-book pour découvrir une énorme boite à jouets). Par son ambition, “Fox-Boy 2 : angle mort” tient donc toutes ses promesses et affirme qu’un super-héros français existe.

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