N'en déplaise à certains """"journalistes"""" ayant fait preuve d'un manque certain d'ouverture d'esprit culturelle (pour ne pas dire carrément de mépris pompeux bien gerbant et dégoulinant de condescendance), le premier artbook édité par Mana Books est une excellente initiative.

D'une part, il y aura les amoureux de peinture classique qui pourront là redécouvrir des œuvres qu'ils connaissent par cœur à travers une nouvelle approche, celle de la réappropriation et de la libre interprétation ; chaque illustration étant porteuse d'une démarche propre. Après tout, l'histoire de l'Art est aussi et surtout déjà l'histoire de la copie : de tous temps, les artistes n'ont eu de cesse de s'inspirer des œuvres de leurs prédécesseurs. Dès lors, en quoi une revisite de tableaux classiques par des artistes contemporains devrait-elle choquer ? D'autant que les peintres de l'époque se sont eux-mêmes parfois inspirés des estampes japonaises traditionnelles... Certaines des œuvres en question figurent d'ailleurs ici, comme si la boucle était bouclée.

L'occasion également pour les néophytes de découvrir que « style manga » ne veut rien dire et que, comme autrefois, chaque artiste possède sa patte propre.

De l'autre, il y aura des lecteurs familiers avec le manga et les illustrations digitales, mais qui ne se seraient pas forcément intéressés à la peinture classique autrement. Ça tombe bien : en face de chaque illustration se trouve une miniature de l’œuvre originale, des informations sur sa genèse et sur son auteur. De même, au début du livre, une chronologie résume les différents courants artistiques de façon abrégée, ainsi que de brèves explications sur la démarche de copie en elle-même.

Bref, tout est fait pour que chacun excerce son œil critique en feuilletant l'ouvrage.

Plus qu'un artbook, celui-ci se veut donc une sorte de passerelle entre deux mondes, qui ne sont pourtant déjà que deux facettes d'une même pierre précieuse : celle de l'Art.

 

(veuillez excuser la qualité des photos, la lumière était exécrable)

Et le contenu?

 

Passé l'introduction, les illustrations sont divisées en deux sections, les œuvres au format paysage puis celles au format portrait. Ainsi, on ne passe pas son temps à tourner le livre dans tous les sens, et toutes les illustrations profitent du format pleine page. Comme dit précédemment, chaque œuvre bénéficie d'une double-page, l'une avec la revisite, l'autre avec des informations et les tableaux d'origine. Petit bémol, il y avait largement la place pour insérer ceux-ci en un poil plus grand ; là, c'est tellement petit que comparer les détails entre la revisite et son modèle est quasiment peine perdue. Dommage.

Du côté des illustrations, on peut les séparer en trois catégories.

Premièrement, les copies pures, où l'artiste reproduit fidèlement le tableau, mais dans son propre style. « La naissance de Vénus » de Botticelli, « La laitière » de Vermeer ou l'incroyable « Un bar aux Folies-Bergères » de Manet sont concernés.


Viennent ensuite les réinterprétations plus libres, qui constituent le plus gros de l'ouvrage. L'essence du tableau y est conservée et on reconnaît sans mal celui-ci ; même si les vieillards barbus ont laissé place à de plus appétissants jeunes gens dans « Les quatre continents » de Rubens que les uniformes scolaires ont remplacé les robes vaporeuses dans « Le printemps » ou que « Les tournesols » de Van Gogh sont devenus de ravissantes jeunes filles. C'est souvent bien vu, parfois un peu plus culotté (et donc à même de faire grincer certains), mais on ne peut jamais nier qu'il y a de l'idée.


Et puis, viennent les réinventions totales, celles où l'illustrateur est parti totalement en roue libre, où la version moderne n'a parfois pas grand-chose à voir avec l'originale ou que la part d'interprétation est tellement importante qu'on peine à reconnaître le tableau (« Les demoiselles d'Avignon » en cyborgs cubiques, « La ronde de nuit » avec des uniformes modernes, « La Liberté guidant le peuple » où disposition comme personnages n'ont plus rien à voir, ou les « Femmes de Tahiti » de Gauguin certes techniquement irréprochable mais vraiment impossible à identifier tel quel).

 

Visuellement, le niveau est globalement très bon, même si assez inégal entre les tueries visuelles fourmillant de détails (« Un bar aux Folies-Bergères », « Ophélie », « Bal au moulin de la Galette »), les illustrations certes toujours belles mais moins impressionnantes (« Symphonie en blanc n°3 », « La femme à l'ombrelle ») et celles où la technique pèche clairement si on les compare au reste (le visage trop plat sur « Jeanne d'Arc au sacre », la simplicité aussi bien du trait que de la colorisation sur « Noces paysannes »...). Bref, il y a les illustrations qu'on regardera parce qu'elles sont belles, et celles auxquelles l'on s'intéressera pour les comparer à l'original, mais qui n'ont rien d'extraordinaires en elles-mêmes.
En tant qu'artbook, le bilan est donc plutôt mitigé. Il y a certes là-dedans de véritables pépites, mais l'intérêt est clairement ailleurs.

 

 

Alors, faut-il acheter « Quand le manga réinvente les grands classiques de la peinture » ? L'ouvrage mérite-t-il le lynchage auquel se sont livrés certains pseudo-journalistes ? S'agit-il d'une tentative réussie de réconciliation entre art classique et illustration nouvelle génération ?

Sur ce dernier point, la réponse est indubitablement « OUI ». A travers les différentes façons de se réapproprier une œuvre, les différents artistes ont prouvé, chacun leur tour, que l'illustration par ordinateur d'aujourd'hui n'a rien à envier aux huiles et pastels du passé et que la diversité des courants artistiques subsiste aujourd'hui via les influences que chacun continue d'avoir sur les créateurs de maintenant.

Concernant le second point, non, le livre et l'initiative ne « méritent » pas une telle volée de bois vert, même s'il est compréhensible qu'aux yeux de certains la chose relève du vulgaire sacrilège. Un « Radeau de la Méduse » en version cyberpunk, un « Cri » pop et coloré avec un masque à gaz, le décolleté généreux de « La laitière », oui, en cherchant bien il y a moyen de trouver quantité de choses à même de faire hurler si l'on s'arrête au visuel pur sans essayer de comprendre la démarche derrière le livre. Car c'est de cela qu'il s'agit : une démarche. Une expérience artistique. On n'entend pas autant gueuler lors des représentations modernisées de pièces de théâtre ou de ballets classiques et pourtant, c'est exactement la même chose. Bref, on peut tout à fait ne pas aimer le concept sans pour autant lâcher un bête « c'est de la merde » ou « c'est moche ».

 

Enfin, faut-il l'acheter ? Tout dépend de ce que vous venez y chercher. Si vous avez envie de découvrir la peinture classique en douceur, c'est effectivement un bon moyen, qui plus est assez ludique. Si (comme ma mère...) vous aimez la peinture classique ET le manga, vous adorerez découvrir ces revisites. Si vous êtes un amateur de peinture classique arrivé ici par hasard et lisez ces lignes, à vous de voir si la curiosité peut vous pousser à tenter l'expérience : désormais, vous savez à quoi vous attendre.

Si c'est le visuel pur qui vous intéresse, la plupart des illustrations sont tout de même fort jolies et la plupart des artbooks édités en France sont ceux de mangakas (Tsukiji Nao, Takeshi Obata...) ou de séries spécifiques (Vampire Knight, Soul Eater, Chobits)... Pour 17€, il demeure donc intéressant. Néanmoins, en import, il y a pléthore de compilations techniquement au dessus (les anthologies Pixiv...).

 

En bref

Un concept osé servi par des illustrations dans l'ensemble très réussies: voilà qui pourrait résumer le premier artbook de Mana Books. Une initiative louable et intéressante, à même de séduire y compris les plus puristes des amateurs d'art... à condition de lire au moins la préface.

8
Positif

Des réinterprétations tantôt fidèles, tantôt originales

Certaines illustrations VRAIMENT belles

Les informations sur les oeuvres et artistes d'origine

Un concept franchement séduisant

Negatif

... mais techniquement inégales

Pourquoi avoir mis les démarches des illustrateurs à la fin et non pas sur les pages de droite?

Miniatures des tableaux vraiment trop petites

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