Viens Dans Mon Comic Strip : Un dessinateur fou, fou, fou !

A travers ce nouveau numéro, Jean-Marc Lainé nous présente un dessinateur peu connu en France.


BASIL WOLVERTON

Un dessinateur fou, fou, fou !

 

 

Un double achat récent de vieux magazines a été l’occasion de retrouvailles avec un dessinateur vénéré par des amateurs outre-Atlantique, mais relativement méconnu en France (à part d’un certain Jérôme W. grand fan du monsieur), si l’on excepte quelques pépites au détour d’un sommaire : Basil Wolverton.

 

Le sommaire d’Epic numéro 8 propose une aventure de Spacehawk, astronaute justicier dont Wolverton anime les aventures entre 1940 et 1942. La publication, en grand format et dans des couleurs revisitées, permet de redécouvrir un échantillon de cette série où se bousculent extraterrestres laids à frémir, planètes inhospitalières et héros vengeur. Certains critiques ont rapprochés Spacehawk des séries de super-héros vindicatifs par Fletcher Hanks, et si le parallèle est loin d’être idiot, il éclipse tout de même la diversité et la pérennité de la carrière de Wolverton, qui s’échappe bien rapidement des batailles spatiales avec l’intention d’explorer de nombreux autres genres, l’humour au premier chef.

Dans les pages de L’Écho des Savanes Spécial U.S.A. numéro 7 (une revue qui, décidément, occupera une place centrale dans l’exploration de la bande dessinée américaine pour toute une génération), les lecteurs peuvent découvrir la traduction de « Where Monsters Dwell » (extrait d’Adventures Into Terror #7, daté de décembre 1951 chez Timely-Atlas), sous le titre « Les Monstres d’à côté ». La bande est reproduite en noir et blanc. Chose étonnante, même si la première page est bien signée de Wolverton, les exégètes s’accordent à penser qu’il ne l’a pas dessinée. C’est donc un récit à plusieurs mains qui nous y est présenté, mais en grand format, en noir et blanc, et sur beau papier (signalons pour les complétistes que Wolverton fait également partie du sommaire de L’Écho des Savanes Spécial U.S.A. n°6, qui propose « L’Œil du destin ». Il s’agit de la traduction de « The Eye of Doom », publié à l’origine dans Mystic #6, chez Atlas, en janvier 1952. L’édition française est ici en noir & blanc, sur un papier moins luxueux que celui qui sera adopté dans le numéro suivant).

Ces deux récits constituent aujourd’hui le prétexte de revenir sur la carrière d’un auteur important, dont les récits ont pourtant peu connu les honneurs de la traduction.

Né en juillet 1909 et décédé en décembre 1978 (soit quelque deux ou trois ans avant l’hommage rendu dans Epic Illustrated), Basil Wolverton a mené une carrière au cours de laquelle il s’est retrouvé, à plusieurs reprises, au bon endroit au bon moment. Suivre son parcours revient presque à voir évoluer sous nos yeux la bande dessinée américaine, des grandes tendances des années 1940 à la révolution humoristique des années 1950 et jusqu’aux premiers pas de la contre-culture underground.

Chose amusante, sa carrière dans les comic strips débute avec Marco of Mars, une série acceptée par Independent Syndicate en 1929 mais jamais publiée, à cause de sa ressemblance avec Buck Rogers, qui venait d’être lancé. Vendant des illustrations et des histoires depuis l’âge de seize ans, il publie ses premières séries dans des comic books vers 1938.

De 1942 à 1952, il travaille pour plusieurs éditeurs, mais livre le gros de sa production à Timely Comics, la maison d’édition de Martin Goodman et ancêtre de Marvel. Il propose de nombreuses séries de compléments pour les titres humoristiques, présentant des récits absurdes à l’humour très visuel, presque slapstick. Parmi ces innombrables séries, souvent éphémères, il faudra retenir Powerhouse Pepper, l’histoire d’un boxeur nanti d’une super-force mais également d’une super-naïveté. Ce colosse au cœur tendre est le héros d’histoires courtes délirantes où sa force n’est pas toujours exercée au meilleur escient. Il travaille alors dans un style rond au trait gras, où tout prend l’allure de jouets, loin de toute représentation réaliste.

 

 

Vainqueur en 1946 d’un concours organisé par Al Capp, l’auteur du strip Li’l Abner, Wolverton fait le portrait de Lena the Hyena, la femme la plus laide du monde, légendaire dans la série de Capp. Ce petit coup de projecteur lui vaut de publier des caricatures dans Pageant et Life, détail d’autant plus amusant qu’il sera par la suite l’auteur d’une couverture de MAD parodiant celles du célèbre magazine.

Loin d’être anecdotique, le portrait qu’il fait de Lena the Hyena marque également l’apparition d’un nouveau style, que certains qualifient de « spaghetti et boulettes », fait de petits traits accompagnant les replis et bourrelets surdétaillés de ses personnages. Ce foisonnement de détails confère aux portraits ainsi brossés une laideur indiscutable, au fort potentiel comique. Mais tout le monde n’y est pas sensible, et si Will Elder qualifiait le boulot de Wolverton de « rafraîchissant, inventif et original », Jules Pfeiffer le trouvait simplement « laid ».

 

 

Au début des années 1950, Wolverton livre quelques histoires d’horreur pour les anthologies de l’époque (Weird Mysteries chez Gillmor, Weird Tales of the Future chez SPM, Mr Mystery chez Aragon…), parmi lesquels quelques récits écrits par Daniel Keyes. Alors apprenti romancier, le futur auteur des Fleurs pour Algernon officie comme assistant de Carl Wessler et signe quelques scénarios, que Wolverton illustre à grands renforts de monstres hybrides pleins de hachures.

Après la création de MAD en 1952, Wolverton se glisse dans l’écurie de l’éditeur, signant quelques prestations où son art du portrait hideux est bien mis à contribution. C’est ainsi que la couverture du onzième numéro propose une parodie du magazine Life, C’est dans ce numéro que Wolverton dessine « The Mad Reader », une succession de gros plans sur d’hypothétiques et monstrueux lecteurs de la revue. Cette enfilade de portraits a connu au moins une traduction, dans La fin de MAD, chez Albin Michel, en 1987.

 

 

Dessinateur humoristique au trait percutant, Wolverton continue à participer à MAD et Panic, ainsi qu’à leurs concurrents, Cracked, From Here to Insanity, Cockeyed ou Ballyhoo. Fort apprécié de la génération underground, qui se reconnaît dans son trait volontairement inesthétique dans lequel ils voient une gifle à l’establishment et à la culture du beau, il travaille, à la fin des années 1960, chez Topps, fabriquant de trading cards, pour qui il dessine en 1965 la série des Ugly Stickers (sorte d’ancêtre spirituel des Crados), peinte par Norman Saunders. Il revient à la bande dessinée en 1973 à l’occasion de Plop chez DC, dont il assure les couvertures, et dans Comix Book, une parution co-éditée par Marvel et Kitchen Sink.

 

 

Son nom restera associé à la science-fiction des années 1940, à l’humour des années 1950 et à l’underground des années 1960. Prolifique, insolent, polyvalent, Wolverton demeure une figure à part dans l’histoire de la bande dessinée américaine, attaché à aucun personnage en particulier, et pourtant marquant de sa patte plusieurs générations d’auteurs.

Source:

Jean-Marc Lainé, auteur, traducteur et responsable éditorial dans le monde des comics. Il a écrit récemment le livre : Comics & Contre-Culture, disponible à ce jour.

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