Viens Dans Mon Comic Strip : Des clichés en cascade !

Pour cette 26ème édition, Jean-Marc Lainé revient sur une nouvelle adaptation en comics.

L’HOMME-MOUCHE

Des clichés en cascade !


Dans les années 1970, Marvel ratisse large, dans un souci de pluralité, mais également dans un mouvement de panique lié aux méventes et aux problèmes de distribution. Dans cette logique, l’éditeur teste d’autres genres, mais se permet également de publier des produits sous licence. Souvent venus de la télévision, mais pas que…

 

Nous avons déjà évoqué dans cette colonne l’existence de la bande dessinée consacrée en 1978 à L’Homme de l’Atlantide, série télévisée mollassonne mais qui aura fait rêver (ou cauchemarder) toute une génération de jeunes téléspectateurs. Réalisée par Bill Mantlo et Frank Robbins, la série proposait de nouvelles aventures de l’Aquaman du petit écran.

Les mêmes auteurs s’étaient déjà croisés aux commandes d’une autre série sous licence, Human Fly. Infatigable conteur, Bill Mantlo était toujours partant pour accepter des commandes, même quand il s’agit de produits dérivés. Frank Robbins, quant à lui, dessinateur de strips de presse qui venait de passer quelques années glorieuses dans les rangs des auteurs phare de Batman, il était alors en fin de carrière, acceptant de travailler sur quelques produits dérivés ainsi que sur des séries qui lui allaient mieux au teint, comme les Invaders, héros de la Seconde Guerre mondiale.

Nous sommes en 1978. Mantlo et Robbins travaillent sur Human Fly et Man from Atlantis en même temps, livrant les aventures de deux protagonistes aux frontières du genre super-héroïque. Et composant, au demeurant, un duo d’auteurs tout à fait capable.

Resituons un peu. Le premier numéro de Human Fly, narrant les aventures d’un cascadeur à grand spectacle se produisant de ville en ville dans la grande Amérique, paraît daté de septembre 1977. La série est lancée par Bill Mantlo et Lee Elias, lui-même ancien dessinateur de strips (on ne conseillera jamais assez son Beyond Earth qu’il dessine de 1952 à 1955 sur scénario du romancier Jack Williamson) et créateur chez DC du vilain Eclipso (même s’il sera… éclipsé par le talent de son successeur, un certain Alex Toth). Elias est, comme beaucoup de gens de sa génération, fortement influencé par Noel Sickles et surtout Milton Caniff. La parenté avec Frank Robbins, qui travaillera sur beaucoup de numéros de Human Fly, permettra de donner à la série une patte particulière (signalons la prestation de Carmine Infantino, sur le deuxième épisode, qui marque une petite rupture de style).

Pour résumer, Human Fly est rempli de personnages vivants aux gestuelles surjouées, de jolies nanas aux pommettes saillantes et d’ombres et drapés travaillés qui montrent bien que les planches sont pensées en noir & blanc. Style un peu désuet, mais très vivant.

Les aventures d’un cascadeur qui se donne en spectacle ? Dit comme ça, ça n’a pas l’air glamour. Pourtant, Marvel annonce la couleur en couverture du premier numéro, en affirmant qu’il s’agit là du plus dingue des super-héros… parce qu’il est réel. Et en effet, Human Fly s’avère être une version « fictionisée » des spectacles du véritable Human Fly, l’Homme-Mouche de la vie réelle.

Dans les années 1970, les spectacles du célèbre Evel Knievel, détenteur de nombreux records de sauts en moto au-dessus d’enfilades vertigineuses de bus et autres joyeusetés, faisaient la une des magazines à sensation (au point d’inspirer un autre héros Marvel, le premier Ghost Rider, alias Johnny Blaze… sans compter les motards de Team America, plus tard rebaptisés Thunderiders, et créés en 1982 pour accompagner une ligne de jouets remplaçant les jouets inspirés de Knievel). Le succès du cascadeur attira rapidement la concurrence, et l’un d’eux, le fameux Human Fly, se mit en tête de battre les records de Knievel. Plus haut, plus loin, plus fort.

Sous le masque rouge de l’Homme-Mouche se cache Rick Rojatt, un cascadeur dont le premier fait d’armes aura consisté à chevaucher un avion de ligne (allez voir sur Youtube, tiens !), exploit représenté sur la couverture du premier numéro chez Marvel. Astucieux promoteur de sa propre image, Rojatt a su organiser une campagne médiatique, qui passa par l’adaptation en bandes dessinées, dans lesquelles l’Homme-Mouche combat différents saboteurs et brigands désireux de s’en prendre aux recettes de ses spectacles (bien entendu amassées au profit d’œuvres caritatives…), mais rencontre aussi quelques héros du cru, comme Spider-Man, Daredevil ou le Tigre Blanc.

L’histoire de Human Fly, telle que vantée dans les comic books mais également dans les dossiers de presse de Rojatt, présente ce dernier comme le survivant d’un accident qui aurait dû le laisser alité à vie. Mais à force de volonté et de détermination, le cascadeur a pu remarcher, avant de remonter sur une moto afin de se livrer à des exploits surhumains destinés à redonner l’espoir à toutes les victimes d’accidents.

La série de bandes dessinées fonctionne plutôt bien. En France, elle connaît quatre numéros, publiés chez Sagédition (qui évite à ses lecteurs l’alternance de pages couleurs et de pages noir & blanc, pour une fois) sous le titre L’Homme-Mouche, et adaptant douze des dix-neuf numéros américains. Si la publication s’interrompt, c’est surtout parce que la carrière de Rick Rojatt connaît un arrêt brutal après un accident dramatique : sa moto, équipée de boosters destinés à lui faire franchir une distance inégalée, quitte sa trajectoire, projetant le malheureux cascadeur dans les décors. S’il survit, ses multiples fractures (et la convalescence qui s’ensuit) mettent un terme à sa ronflante carrière. L’ironie du sort voudra que le dix-neuvième et dernier épisode en bandes dessinées arbore une couverture où le cascadeur effectue un saut vertigineux en moto au-dessus d’un précipice…

 

Les quatre numéros de Sagédition nous donnent l’occasion de découvrir une série sans réelle originalité, mais teintée d’une séduisante naïveté. Une souriante générosité la parcourt, rendant la lecture agréable, malgré sa dimension répétitive (une nouvelle ville, un nouveau spectacle, un énième sabotage…). Bien entendu, afin de varier les plaisirs, Mantlo, Elias et Robbins (et Bob Lubbers, autre vétéran passant dans les couloirs à l’occasion de deux numéros) arrachent parfois l’Homme-Mouche à sa moto pour le ligoter à un missile sur rail ou le jeter dans un bassin profond. Les exploits du cascadeur lorgnent alors vers les maîtres de l’évasion genre Houdini, et évoquent sans se méprendre les aventures de Mister Miracle, le héros de Jack Kirby.

La structure de la série n’est pas non plus sans rappeler la série télévisée Hulk, avec Bill Bixby et Lou Ferrigno, dont le pilote a été diffusé en novembre 1977. Nul doute que le feuilleton a influencé l’écriture de Mantlo. L’Homme-Mouche est poursuivi par une charmante mais teigneuse journaliste blonde, Harmony White qui, si elle finira par changer d’avis à l’égard du cascadeur, n’est pas sans évoquer le Jack McGee de The Incredible Hulk (« Monsieur McGee, ne me mettez pas en colère, vous risqueriez de le regretter », ça vous dit quelque chose ?). Ironiquement, sans doute parce qu’il est conscient de la dette que l’Incroyable Hulk télévisé et l’Homme-Mouche de papier doivent au Fugitif, Mantlo place un manchot équipé d’un crochet dans le récit, mais cette fois-ci, il fait partie des amis du héros.

Entre Mister Miracle et Incredible Hulk, Human Fly se présente comme une série secondaire, rondement menée avec la sincérité des œuvres mineures. Un peu oubliable, sans doute bien oubliée, ça reste une lecture agréable. Les quatre numéros de Sagédition, malgré les traductions elliptiques dont l’éditeur avait le secret, constituent pour le lecteur hexagonal l’une des rares occasions de retrouver une série qui, pour des raisons évidentes de licencing, ne sera sans doute jamais rééditée.

Source:

Jean-Marc Lainé, auteur, traducteur et responsable éditorial dans le monde des comics. Il a écrit récemment le livre : Comics & Contre-Culture, disponible à ce jour.

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