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Critique de L'homme qui tua Chris Kyle

par MassLunar le ven. 19 juin 2020 Staff

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Une légende américaine dans le viseur...

Avec L'homme qui tua Chris Kyle, le duo Nury/Bruno marque un point, un redoutable point, aussi impactant qu'une balle. Le scénariste Nury et le dessinateur Bruno sont connus pour leur série Tyler Cross,  un polar axé sur un tueur à gages dans lequel le dessin à la serpe de Bruno côtoie les répliques bad ass et l'écriture cruelle, noire mais aussi un peu fun de Nury.  Une très bonne bd pour celles et ceux qui recherchent du bon polar bien noir. 

Mais avec leur dernier titre, le duo nous retourne totalement le cerveau avec une intense bd documentaire  dont la critique est camouflée derrière une fausse sobriété et dont le rythme est mené tambour battant  avec une narration efficace et acérée. Le sujet de cette bd est axé sur les derniers moments d'une légende américaine, le fameux american sniper Chris Kyle et son meurtrier Eddie Ray Routh. Les deux auteurs ont fait fort. Loin de délivrer une banale biographie sur les derniers moments de celui qui est considéré comme un héros américain, il nous présente en fait deux facettes de cette légende à travers le portrait de son assassin. Mais qui est au fond l'assassin ou la légende dans cette histoire ? Le sniper qui se targuait d'avoir tué 250 personnes pour défendre son pays ? Ou l'ancien marine drogué et alcoolique, ce personnage de l'ombre qui est revenue dévasté d'une mission humanitaire en Haiti ? L'un est devenu glorieux, l'autre est devenue un criminel. L'un est mort en héros, l'autre est devenu détenu condamnée à perpétuité. 

Ce qui est incroyable avec ce roman graphique, c'est l’ambiguïté dans laquelle nous fait baigner l'écriture incisive de Fabien Nury. Pour moi, le scénariste montre une nouvelle facette de son talent. Il avait sans doute déjà un côté satyrique avec Tyler Cross mais on restait focalisé dans un genre divertissant de polar. Là, Nury réalise un coup de maître avec un scénario tout en profondeur dont l'ingéniosité réside dans le fait que l'auteur montre deux points de vue majeurs: le héros américain et le tueur. Il suit le parcours de ces deux anciens marines mais pas que : il suit également le témoignage de leurs proches et des médias qui les entourent. Cela donne une vision large à cet événement sans que l'auteur ne prenne non plus un point de vue trop politique façon Michael Moore ou Clint Eastwood. Fabien Nury manie au contraire le recul pour mieux nous faire réfléchir. Sous l’œil d'une fausse caméra externe, le scénariste amène son lecteur à considérer cette chronique de la légende américaine à travers le regard distancié des caméras, de l'appropriation de cette histoire chez Hollywood ou encore d'une entreprise d'armes à feu dont la veuve de Kyle fait la pub... A côté de ça, il souligne la déchéance plus intimiste, plus noire d'Eddie Ray Routh qui n'est pas la légende Chris Kyle. Au final, le scénariste nous conte une triste chronique américaine dans laquelle la Constitution concernant les armes à feu, la glorification du militaire patriote nous entraîne aussi vers des pistes bien ambiguës qui nous font perdre de vue quelque chose d'essentiel. Quand j'ai fini de lire ce titre, je me suis dit à quel le film d'Eastwood aurait été bien meilleur si le réalisateur avait aussi donné la parole à "l'assassin". Nury et Bruno l'ont fait. Il faut tout de même préciser que le point de vue de cette bd est aussi très "européen" . Cela n'est pas un défaut mais il permet aussi d'avoir du recul face à la Constitution américaine. Nul doute que pour un américain républicain , cette bd serait sans doute dure à digérer ! Mais c'est ce recul qui fait la force de ce roman graphique et permet au duo de dégager un regard aiguisé et sans concession sur l'aura de cette légende américaine. 

Bruno, le dessinateur, l'illustre parfaitement avec ces pages composés de dizaines de cercueils sur un fond noir. Juste pour ces planches symboliques, l'album prend indéniablement un tour de force et c'est justement là qu'est le message de ce roman graphique. Le compère de Nury met tout son talent dans un dessin minime en expressions mais riche en émotions. Le dessinateur joue adroitement avec un découpage de cases tantôt "cinématographique" pour illustrer une publicité, tantôt répétitif et mécanique comme dans le cadre des interviews télévisés. L'auteur resserre ou élargit l'espace pour donner un véritable rythme à ce documentaire aussi bien intime que médiatique. La narration sert intelligemment le propos. Propos qui se révèle de plus en plus critique. 

Je vous recommande ce titre implacable, percutant et propice à la réflexion. Un titre qui, je l'espère, poursuivra son bonhomme de chemin cette année pour s'envoler vers le palmarès du futur Angoulème...

Dans le même genre, je vous recommande le film L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford avec un excellent Casey Affleck et, bien évidemment, le film de Clint Eastwood American Sniper qui, même si il demeure focalisé sur Kyle apporte un regard assez tranchant sur la guerre et le traumatisme qui en découle parfois inévitablement. 

En bref

Jouant intelligemment sur la sobriété du documentaire, le duo Nury / Bruno délivre un titre percutant sur la confrontation entre Chris Kyle , la Légende, et Eddie Ray Routh , le condamné. Derrière cette confrontation, se cache un subtil pamphlet qui attend d'avoir son lecteur au bout du viseur.

10
Positif

Un faux documentaire intelligemment mise en scène par Nury et Bruno.

Un regard subtilement critique et analytique autour de La légende et de son meurtrier

Un coup de maître qui vous retourne la tête.

Negatif

Un point de vue sur un fait divers américain vue par un européen ( à prendre légèrement en compte).

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