10

Critique de Blanc autour

par MassLunar le mer. 19 mai 2021 Staff

Rédiger une critique
Quand l'éducation brille au coeur de la ségrégation...

Blanc Autour est un roman graphique signé Wilfrid Lupano au scénario et Stéphane Fert paru en janvier dernier aux éditions Dargaud. Wilfrid Lupano est un scénariste très prolifique au talent aiguisé que ce soit à travers l'humour satirique, la bd d'aventure ou le roman graphique. Il a d'ailleurs ouvert cette année 2021 avec deux titres qui dévoilent bien les deux facettes de son écriture avec Maharadchat, une pure comédie d'humour satirique et caricatural, et ce dernier titre Blanc Autour, roman graphique inspiré d'une histoire vraie : celle d'une école ouverte aux personnes de couleur en 1830 à Boston dans le Connecticut. Un récit subtil et grave entraîné par le dessin doux et hypnotique de Stéphane Fert. 

Je suis moins familier du travail de ce dernier. Stéphane Fert s'est fait remarquer par quelques titres de fantasy comme Peau de Mille Bêtes dans lequel il impose sa vision du conte avec force, style et panache. Il avait déjà eu l'occasion de travailler avec Wilfrid Lupano sur la bd jeunesse Quand le cirque est venu.

L'association de ces deux  esprits de la bande dessinée donne lieu à un roman graphique intense qui combine à la fois la fausse douceur du dessin et une intrigue puissante qui souligne, à partir d'une histoire vraie, combien l'éducation demeure primordiale en temps de crise et de haine. 

Blanc autour est d'abord un récit historique autour d'une école, la Canterbury Female School fondée par Mme Prudence Crandall , une institutrice qui, en 1832, a décidé d'ouvrir son établissement à des élèves de couleur. Nous sommes dans l'état américain du Connecticut, un état du "bon" côté de la barrière avant la Guerre de Sécession, qui avait déjà aboli l'esclavage mais malgré l'abolition, l'intolérance et une forme de ségrégation à l'égard des noirs demeurait bien présente dans ces états pourtant partisans de la fin de l'esclavage.

L'avant-propos de Blanc Autour nous plonge directement dans le contexte de cette époque dontla méfiance envers les gens de couleurs est exacerbée chez les blancs suite à la révolte sanglante de l'esclave Nate Tuner peu de temps avant le début de cette histoire, avant l'ouverture de cette écoles aux filles noires. Pour citer la postface : " Quel rapport entre les deux évènements ? Aucun, pourrait-on penser. Et pourtant...".

Bien sûr, il ne faut pas aborder ce récit en toute naïveté et se dire que l'Amérique de la ségrégation fut divisé bêtement en deux côtés : celui des abolitionnistes et celui des esclavagistes. Tout cela est beaucoup plus compliqué et l'intolérance malheureuse, le racisme demeure présent sur bien des plans et de diverses façons...

C'est ce que nous rappelle Blanc Autour qui situe son récit dans une ville située du "bon" côté de la barrière avec une ouverture tout en douceur mais qui se démarque tout de même par le reflet de la séparation entre la communauté blanche et la communauté noire, séparation qui sera bravement brisée grâce à l'importante décision d'une institutrice , Mlle Prudence Crandall qui décidera d'ouvrir son école aux jeunes filles noires avides de savoir comme le montre Sarah Harris, première élève de couleur à rejoindre l'école. A partir du moment, où Mlle Crandall décide d'ouvrir son école aux enfants noirs, changement d'ambiance et le racisme alimenté, bien évidemment, par la peur et la méfiance (d'autant plus depuis la révolte de Nat Turner), se dresse face à cet école. Les expressions bienveillantes des premières pages sont rapidement remplacées par la colère et la haine de la part, notamment,  des bourgeois blancs emmené par l'ignoble Judson qui voient d'un mauvais œil cette "infiltration" de couleur. 

Blanc autour est une bd historique qui nous conte la bravoure et la détermination d'une professeure et des ses élèves, bravoure et résistance d'une éducation égalitaire et ouverte à toutes face à la ségrégation. Bien sûr, ce roman graphique n'est pas la première oeuvre à nous parler de la ségrégation, à souligner la dureté de ce racisme historique , mais, à travers, ce fait historique, la bd de Wilfrid Lupano et de Stéphane Fert met surtout en valeur l'importance, l'essentialité d'une école qui sert ici de rempart et d'aide face un racisme qui n'est pas seulement corporel mais aussi spirituel et intellectuel. Le savoir est synonyme de pouvoir et le scénario de Wilfrid Lupano dévoile brillamment ce fait historique sous ses différentes nuances et le tout agrémenté par la postface de la conservatrice du musée dédiée à Prudence Crandall. Un dossier qui nous rappelle que les personnages ont véritablement existé et que certaines de ses élèves sont devenues d'importantes intellectuelles de l'abolitionnisme, engagées et vouant leur vies à aider les esclaves évadés ou affranchis. Blanc Autour est une preuve de cette humanité et de cette résistance face au racisme à travers le prisme de l'éducation. Une bd qui peut d'ailleurs rappeler la fameuse photo de 1957 sur les 9 élèves afro-américains qui furent les premiers à intégrer un lycée blanc en Arkansas... Comme souvent , les récits historiques autour de ces thèmes fort font toujours échos à des périodes plus proches de notre temps. La structure de ce récit est en tout cas construit d'une tension grandissante, d'actes racistes de plus en plus virulents mais aussi de cette résistance, de cet épanouissement qui va tout de même éclore chez ces jeunes élèves. Mention spéciale à tous ces personnages attachants. En un one shot, Lupano donne du coeur et du caractère à ces jeunes femmes de l'Histoire. 

Il serait réducteur de résumer Blanc Autour à un simple titre historique autour du racisme. En tant que bande dessinée, ce titre est porté par le dessin faussement naif mais ô combien efficace de Stéphane Fert. Là où ce titre aurait pu être plus académique sous un autre coup de crayon, le dessin de Fert apporte une tonalité , une fraicheur juvénile avec quelques coups de traits expressifs sur les protagonistes qui suffisent à apporter une foule d'émotions à cet important récit. Humour, colère, bienveillance, rage de savoir, désir spirituel, bon nombre d'émotions se combinent dans Blanc Autour , en gage de qualité, Lupano donne aussi l'occasion à Fert d'offrir une audacieuse touche de Conte à ce récit historique. C'est cette touche qui procure à Blanc Autour une certaine force, une certaine originalité dans un titre qui aurait pu être tout aussi efficace mais davantage classique. 

Représenté par la forêt et quelques personnages excentriques comme la vieille sorcière  ou encore Sauvage, un enfant qui vit uniquement pour sa liberté, Blanc autour possède une dimension spirituelle, voire enchanteur comme en témoigne ces quelques pages remarquables comme la scène de la déesse vue par Eliza, une magnifique planche automnale qui confirme la remarquable gestion des couleurs apporté par Stéphane Fert, un dessinateur qui est parfaitement à l'aise dans l'imaginaire des contes. Sans détour, Blanc autour résonne parfois comme un conte à la fois proche et loin de cette cruelle civilisation. De plus, en mettant en valeur cette notion de conte, les auteurs semblent peut-être nous dire que l'éducation spirituelle a tout autant d'importance que l'éducation formel d'une classe. C'est une simple hypothèse mais, encore une fois, Blanc Autour donne à penser et n'est pas uniquement centré sur la retranscription graphique d'un fait historique. 



En bref

Blanc Autour est une très bonne bande dessinée, juste et touchante.. Là où le titre aurait pu être plus académique dans le traitement de son sujet, le duo formé par l'écriture juste et touchante de Lupano et le dessin en forme de conte de Stéphane Fert élève d'autant plus l'intrigue de ce roman graphique et donne à cet oeuvre une aura magistrale. Peut-être l'une des meilleures bd de 2021... En tout cas, on peut le lui souhaiter.

10
Positif

Un récit historique envoutant et poignant agrémenté par une touche affirmé de Conte

Une galerie de personnages bien écrits

L'importance mis en valeur de l'éducation au coeur des périodes les plus sombres

L'écriture adroite de Wilfrid Lupano qui distille humour, colère et bienveillance

Le style de Stephane Fert, remarquable dans sa fraicheur et dans l'utilisation de l'imaginaire de conte.

Negatif

MassLunar Suivre MassLunar Toutes ses critiques (534)
Autres critiques de Blanc autour
9
Blanc autour

Blanc autour Staff

Lire la critique de Blanc autour

Boutique en ligne
21,50€
Boutique en ligne
21,50€
Boutique en ligne
21,50€
Boutique en ligne
21,50€
Laissez un commentaire
Commentaires (0)