Une magnifique tranche de vie qui permet d'apporter un autre angle de vue sur nos propres souvenirs

Jirô Taniguchi est une légende dans l’univers du manga. Je pensais avoir lu la majorité de ces œuvres et pourtant je découvre que je n’ai fait qu’effleurer son travail. Les éditions Casterman permettent par cette édition de remettre sur le devant de la scène la plupart de ses mangas. Le journal de mon père en fait partie avec cette réédition VO dans le sens original de lecture.

On découvre l’histoire d’un homme qui travaille dans la ville de Tokyo et vit avec sa femme, sans enfant. Un jour il apprend que son père est décédé, et il va retourner dans le village qui l’a vu naître et dans lequel il a grandi avant de rejoindre la capitale pour le travail.

Le manga va se dérouler sur quelques jours, voire une soirée, celle qui rendra hommage à son père, pour un dernier au-revoir, entouré de ses proches. Ce moment sera l’occasion d’évoquer les souvenirs et les différents moments de la vie de cet homme, et fatalement l’enfance perturbée de notre héros.

Au-delà d’une simple histoire de souvenirs, Taniguchi joue aussi sur les perceptions et les clés de compréhension. On se rend très vite compte, au fil des pages, que les souvenirs de l’enfant sont légèrement biaisés. Il n’avait pas toutes les informations, tous les paramètres, pour décoder certaines réactions, certaines décisions et l’absence de communication, par pudeur, ou maladresse, ont entraîné des incompréhensions qui ont mis à mal toute une famille. Au fil des pages, le lecteur est invité dans les souvenirs du héros qui bouchent les trous de sa mémoire et comprend peu à peu son passé avec les différents témoignages de ses proches.

Attention, l’auteur ne nous livre pas ici une histoire moralisatrice mais offre au lecteur, par le biais d’une histoire prenante, la possibilité de prendre du recul et de se rendre compte une nouvelle fois qu’une même scène peut avoir des interprétations totalement différentes. Il offre aussi la chance de partager cette prise de conscience afin que peut-être, certains lecteurs puissent vivre la même chose avec leurs proches encore en vie.

Les dessins sont toujours aussi bien réussis. Nous avons droit dans cette édition à quelques premières pages en couleurs mais le noir et blanc suffit amplement à servir cette histoire humaine touchante et poignante. Les visages sont peu expressifs, c'est vrai, mais la description des lieux et la mise en place des décors aident à rentrer dans l'histoire. L’auteur a également su jouer habilement sur le découpage pour mettre certaines scènes en avant, comme une photo instantanée.

Rien à redire, le journal de mon père est une réussite en tout point. L’auteur nous livre une tranche de vie touchante et prenante qui amène peu à peu le héros à modifier l’image assez noire de son propre père. A partir des différents témoignages, il va créer un nouveau portrait de cet homme qui l’a élevé et avoir de nouvelles clés pour comprendre mieux certains souvenirs douloureux du passé. Un excellent moment que je ne peux que conseiller au plus grand nombre, cette histoire leur fera forcément écho, de près ou de loin !