8

Critique de Webster & Jones - Agents du 102

par Ben-Wawe le mar. 12 sept. 2023 Staff

Rédiger une critique
Une aventure intense, prenante, entraînante et surtout réjouissante, accumulant références et réussites

Dargaud propose en cette rentrée 2023 une nouvelle bande-dessinée particulièrement agréable et légère, qui multiplie les références mais surtout les belles et bonnes idées.
Webster & Jones - Agents du 102 est une création de deux auteurs particulièrement appliqués et intéressants. Jean-Marc Lainé est scénariste (Fredric, William et l'Amazone, etc.), éditeur (chez Semic), conférencier, essayiste (Nos Années Strange, Frank Miller : Urbaine Tragédie, etc.), traducteur et enseignant (Manuels de la BD, etc.), en plus d'être une véritable figure des comics en France. Laurent Zimny a suivi initialement des études d'architecture, et conçoit une partie des décors du jeu en ligne Banja, avant de cesser son activité en 2015 pour se lancer dans la bande-dessinée (Kirby & Me, Madman: Quarter Century Shindig, CASIER(s), etc.).
Le duo livre ici un beau tome, qui se lit comme une lecture unique mais peut appeler plus. Dargaud signe une belle édition, pour un ensemble particulièrement prenant, grisant et référencé. A ne pas louper.

Mais de quoi parle, finalement, Webster & Jones - Agent du 102 ?
L'action se déroule en 1956. En pleine guerre froide, un avion américain s'évapore dans la forêt amazonienne, alors que ses occupants enquêtent sur des fusées et véhicules spatiaux non identifiés... et liés à une survivance du mouvement Nazi. Les Américains poursuivent leurs investigations, et envoient des spécialistes menés par un duo surprenant.
D'un côté, Wallace Webster : une masse, une puissance, un soldat autant bravache que compétent, bien que disposant d'une certaine opinion de lui-même. De l'autre : Betty Jones, agente spéciale du FBI, très compétente et fine, hélas à une époque où être une femme ne permet pas de faire briller ces capacités autant qu'il le faudrait. Tous deux se lancent dans une succession d'événements, de rebondissements qui les mènent à découvrir de nouvelles menaces (venues d'un passé que l'on espérait abandonné, hélas à l'assaut d'un futur qu'ils veulent dominer) et à former d'étonnantes alliances (notamment avec le mystérieux scientifique Smith... mais aussi avec des entités auxquelles ils auront du mal à croire). Le tout en découvrant l'existence de la zone 102 - doublement plus terrible que la zone 51 !

Et l'on ressort particulièrement satisfait de tout ceci.
Webster & Jones est en effet une belle lecture… car c’est une belle aventure, à laquelle l’on pourrait même mettre un grand A tant le souffle et le dynamisme rappellent les plus belles sagas du genre.
Le lecteur est ainsi plongé dans une succession de rebondissements qui ne s’arrêtent jamais, sans gêner la lecture ou lasser l’esprit. Une belle réussite, tant le rythme est fondamental dans de telles productions, et il aurait été aisé de voir des coups de mou ou une lassitude face à tant d’événements ; ce n’est pas le cas. Le scénario s’acharne à moduler ce fameux rythme, en enchaînant certes les rebondissements, mais en leur donnant des coups d’accélérateur ou des petits moments moins intenses, pour que l’ensemble demeure prenant et surtout.

L’agréable est d’ailleurs un sentiment qui ressort de cette lecture. Jean-Marc Lainé propose un scénario malin, qui joue sur des éléments connus, reconnaissables, familiers ; et les additionne tous ensemble, créant ainsi les (bonnes) surprises de voir des liens soudain naturels entre les choses, les êtres, les concepts.
Webster & Jones débute comme une enquête de barbouzes dans la jungle, avec un duo d’opposés (l’agente du FBI intelligente, fine et débrouillarde, qui doit s’imposer dans les années 50 ; le militaire massif, grande gueule et gros bras) qui filent vers une intrigue sur la survivance de Nazis après la deuxième guerre mondiale. Mais… mais Webster & Jones s’oriente bien vite et fort bien vers d’autres choses.
Vers les étoiles. Vers les projets spatiaux des Nazis et des Américains. Vers la zone 102, que l’on comprend « doublement » plus secrète et fournie que la zone 51 (ah, ces pages révélant les artefacts du surnaturel et de l’étrange rassemblés ici, quel plaisir !). Vers Smith, qui est habilement géré pour ne pas tomber dans le piège du fourbe, mais pour former un beau portrait d’homme qui change, qui évolue, qui s’améliore après un passé sombre. Vers l’opposé de Smith, resté bien figé dans son moule dégoûtant et dépassé, statut confirmé par son fort accent, autant ridicule que crispant. Mais aussi vers des ennemis qui se révèlent alliés face au pire (encore), avec même un rapprochement guère original mais qui fonctionne tant il module habilement la figure de Webster, ainsi que des soutiens surprenants, imprévisibles, qui confirment que les Terriens sont bien des « petits enfants qui se chamaillent », avec ici des êtres venus d’ailleurs qui doivent faire la police.

Et c’est bien, tout ça. Ca va vite, ça se lit bien, c’est intense, prenant… et réjouissant. Webster & Jones file le sourire, tout simplement. C’est bondissant, c’est une aventure qui me rappelle les films de Belmondo, les Flash Gordon, les Indiana Jones dans leurs moments les plus funs et légers.
L’humour est bienvenu et permet d’alléger un fonds qui pourrait être lourd, mais c’est un humour qui ne se moque pas de ses personnages. C’est là une différence avec OSS 117, en tout cas avec le troisième film : Webster & Jones rit avec ses personnages, souvent les uns des autres, mais dans un esprit bon enfant. On se titille, on se picote, mais on ne se moque pas méchamment.
Pas de cruauté, ici, pas de méchanceté. Pas non plus d’ambition inutile, d’éléments abusivement grandiloquents. Les concepts sont simples (mais pas simplistes), et efficaces. Il y a bien sûr des éléments pour aller plus loin, entre les artefacts et le jeu de les identifier, mais aussi quelques appels du pied, comme ce lien avec l’événement de la Toungouska (quelle histoire, d’ailleurs).

Webster & Jones est bien un récit qui donne le sourire, qui ne se lâche pas, qui amuse, qui divertit, qui est… cool.
Et c’est top. Même si je dois admettre avoir deux légers bémols.

Le premier concerne le scénario, notamment le début et les personnages.
Le début m’a gêné. L’on a certes une introduction, un prélude justifiant l’arrivée de Webster & Jones, et c’est bien ; mais je trouve que l’on arrive trop vite. Que tout arrive trop vite. Le rythme s’emballe ensuite, le récit prend forme et vie, mais le début me trouble, me gêne. Un peu trop brute, comme entrée. Un peu perturbante, surtout avec mon petit retour sur les personnages.
Ceux-ci, dans leur totalité, sont des archétypes ; pas des clichés, mais des archétypes. On les identifie, on les comprend car on les connaît, dans leur essence. Et c’est top. Mais… l’on ne sait rien d’eux, hélas. Aucun élément, même minime, sur leur passé. Aucun retour sur un éventuel parcours de chacun, des failles, des événements qui les ont formés (et il y aurait à dire sur Jones, Scully avant l’heure). Certes, cela permet de ne pas alourdir le récit, de tout donner au rythme et aux événements, et ça rend bien. Mais… la limite entre archétypes et personnes-fonctions est fine, et je regrette un peu de ne pas avoir eu quelques pièces à rogner dessus.

Enfin, deuxième bémol : le dessin. Ou plutôt les couleurs.
Graphiquement, Laurent Zimny a un style particulier, personnel. Proche du cartoon. On aime ou non, mais il faut admettre que cela fonctionne bien dans le récit. Ce dernier, pleinement sur l’aventure, aurait pu se prendre plus au sérieux dans son scénario, et son dessin. Et il est probable que le plaisir aurait été moins là ainsi : le graphisme léger, un peu cartoon, un peu déformé mais toujours cohérent, cela apporte beaucoup au « cool » général, à cet esprit d’aventure légère et décomplexée. Et c’est top, encore.
Par contre, les couleurs ne m’ont pas convaincu. La plupart fonctionnent mais, souvent, celles-ci alourdissent la lecture, rendent le suivi des événements, des rebondissements pas désagréable… mais pas agréable non plus. Il y a un petit manque de maîtrise, en tout cas cela donne le sentiment d’une petite gêne générale, alors que le graphisme était un bon choix.

Deux bémols, donc, mais qui tiennent peu face au plaisir ressenti, à découvrir et suivre ces bons personnages dans cette belle aventure, particulièrement légère, prenante et fun. Ca a clairement un goût de « reviens-y », et si je me contenterais avec plaisir de ce volume, j’aimerais bien revoir cet étonnant duo et leurs copains sur d’autres histoires. Et repartir à l’aventure avec eux et leurs auteurs !

En bref

Une aventure particulièrement entraînante, bondissante, très légère mais jamais simpliste. Des personnages agréables à suivre, un rythme très travaillé, un graphisme pertinent malgré quelques maladresses de couleur. Un grand plaisir de lecture, pour une aventure avec un A majuscule, pleine de références bien amenées.

8
Positif

Le rythme très travaillé et réussi d'un récit bondissant mais jamais lassant.

Le plaisir de l'addition d'éléments divers, qui fonctionne très bien.

Un souffle d'aventure extrêmement plaisant et divertissant.

Negatif

Un début un peu trop brut comme entrée en matière.

Des personnages qui manquent un peu de passé, même si ça ne gêne pas pour les apprécier.

Des couleurs qui nuisent quelque peu à l'ensemble par moments.

Ben-Wawe Suivre Ben-Wawe Toutes ses critiques (82)
Autres critiques de Webster & Jones - Agents du 102
Boutique en ligne
21,50€
Boutique en ligne
21,50€
Boutique en ligne
21,50€
Boutique en ligne
21,50€
Laissez un commentaire
Commentaires (0)