Critique de Spawn - La malédiction de Spawn #2
par Ben-Wawe le lun. 2 déc. 2024 Staff
Rédiger une critiqueLa suite effective et prenante d'une anthologie sur le casting secondaire de Spawn des années 90, une réussite jouissive de son époque
Un peu plus d'un après la sortie d'un premier tome, marqué par son extrémisme dans l'intensité et la dureté des histoires (LIEN ICI), Delcourt propose la suite de La Malédiction de Spawn, série en trois volumes initialement publiée en VO par Image Comics de 1996 à 1999. Ce qui fut le premier titre régulier dérivé du phénomène Spawn a marqué les esprits, en proposant des sagas courtes et diversifiées, qui reviennent sur des personnages ou intrigues secondaires de la série principale sous la plume quasi unique d'Alan McElroy, bien sûr chapeauté par Todd McFarlane.
Le premier volume a ainsi permis de découvrir un Spawn d'un futur apocalyptique, où l'Enfer a gagné et où les Démons font vivre un cauchemar constant aux Humains ; mais aussi l'antihéroïne Suture, jeune femme ayant subi les pires sévices et revenue pour se venger ; et enfin un focus sur Angela, l'Ange Chasseresse créée par Neil Gaiman et qui a justifié un long conflit juridique avec Todd McFarlane.
Ce deuxième tome propose trois sagas autonomes, mais aussi un bonus via une mini-série sur Violator, le fameux Démon à l'allure de clown gros et gras sous forme humaine, scénarisée par Alan Moore, rien de moins ! Un complément pertinent, qui s'insère bien dans cette anthologie sur le casting secondaire de Spawn.
La première intrigue se concentre sur Jessica Priest, ajout tardif mais fondamental à l'univers.
Alors que la première intégrale de Spawn (LIEN ICI) révèle qu'Al Simmons a été tué par Chapel, super-tueur membre des super-héros Youngblood, sur ordre de leur chef Jason Wynn, les droits de ce personnage appartiennent à l'auteur Rob Liefeld. Celui-ci se fâchant avec Image Comics et allant former sa propre maison d'édition, Todd McFarlane ne peut plus l'utiliser, et un changement est opéré dans le film Spawn de 1997 pour évoquer la mort du héros. C'est désormais Jessica Priest, super-tueuse psychotique elle aussi, qui est l'assassin d'Al Simmons et adaptée en comics dans le n°61.
Ici, l'on voit Jessica Priest en pleine mission au Brésil, pour stopper un couple incestueux de savants fous, acharnés à modifier l'ADN de leurs prisonniers pour créer un super-virus afin de remodeler le monde. Jessica, dont la double-vie l'amène à être une mère de famille exemplaire, a été recrutée par Jason Wynn après des années d'emprisonnement, suite aux meurtres de ses parents qu'elle a perpétrés sur un coup de sang, enfant. L'on suit ainsi les épreuves et surtout l'acharnement de Jessica à finir sa mission, qui qu'il faille tuer pour y parvenir...
Alan McElroy livre un récit correct, basique mais efficace. Jessica Priest est une super-tueuse psychotique, que l'on suit sans déplaisir et sans trop de dégoût face à ses actes. Le scénariste a l'intelligence de caractériser ses ennemis pour les rendre encore plus terribles que son antihéroïne, et il est ainsi régulièrement réjouissant de la voir les massacrer.
Les trois numéros se lisent de manière fluide, avec beaucoup de dynamisme bien que la suspension d'incrédulité soit régulièrement mise à mal par la capacité de Jessica à survivre et se remettre du pire sans super-pouvoir. C'est une sorte de Dark James Bond au féminin, dans un monde inspiré par les créations de Clive Barker ; surprenant mais intriguant.
La saga est ainsi prenante et réussie, même si elle ne brille pas par son originalité. A noter que Jessica Priest disparaîtra longuement après cette histoire de 1997, ne revenant qu'en 2019 dans Spawn n°300 où elle devient Miss Spawn ! Sacré destin pour un personnage de remplacement.
La deuxième intrigue concerne Abdiel, le premier Homme devenu Ange et acharné à servir Dieu ensuite.
L'on suit en effet, dans un bar spatial mal famé, le barman mi-homme, mi-bête, qui évoque à un jeune voyageur l'histoire d'une armure angélique laissée ici. Celle d'Abdiel, le plus fort des Anges et l'un des plus brutaux, qui a été envoyé par sa hiérarchie paradisiaque fort bureaucratique dans une mission terrible. Abdiel est en effet forcé de chuter, de tomber en Enfer pour se rapprocher de Malebolgia, afin d'obtenir sa confiance pour le supprimer.
Abdiel s'effondre ainsi, croise plusieurs connaissances en Enfer, se rapproche de Malebolgia – mais le Paradis change de directive, et l'autorisation pour agir tarde à venir. Tandis que la détermination d'Abdiel commence à faiblir, dans les flammes et dans l'attente...
Ici, Brian Haberlin prend le relais au scénario. Ce spécialiste des comics indépendants livre deux épisodes intenses, qui montrent que le Paradis dispose également d'une bureaucratie étouffante, qui peut livrer des décisions incompréhensibles, comme d'abandonner l'un de ses meilleurs éléments au cœur du terrain adverse dans le cadre de luttes de pouvoir internes. C'est une belle démonstration des troubles administratifs, et de la perte de sens de luttes bien trop longues.
Abdiel est ainsi d'un côté tragique et perdu, mais le scénariste diversifie l'approche en montrant que le personnage est... fort peu sympathique, en vérité. Son caractère est désagréable, ses interactions sont difficiles avec les autres, et si l'on comprend son trouble, il est certain qu'il n'est ni gentil, ni réellement héroïque.
Une approche plutôt pertinente et intéressante, un bon complément à l'univers général.
Enfin, la série principale offre trois épisodes pour se concentrer sur le mafieux Vito Gravano, alias Tony Twist en anglais.
Ce criminel est vu lui aussi dans la première intégrale, car c'est lui qui fait venir le super-mercenaire cyborg Overt-Kill afin de s'en prendre à Spawn. Ce beau cliché du mafieux italo-américain, gros et vulgaire, voit néanmoins ses affaires attaquées en règle par des professionnels acharnés et... particulièrement pieux.
Rapidement pris à la gorge, acculé, Vito sollicite un vieil ami hélas bien connu de Spawn, et découvre pourquoi on lui en veut, mais surtout que cette vendetta le vise lui, ainsi que l'un de ses hommes qui serait ici pour gérer Spawn. Cogliostro tente d'arranger les choses, alors que le super-vilain Curse a ses propres plans particulièrement sordides.
Alan McElroy reprend sa série pour un focus un peu long mais plutôt généreux sur Vito Gravano. Celui-ci est un cliché des mafieux, mais il est intéressant de voir que la chance se retourne contre lui, alors qu'il semble s'être bien sorti des événements terribles de la première intégrale. Il y a ici un côté presque jouissif de le voir tomber au plus bas, et lutter pour s'en sortir en multipliant les actes abjects et fourbes.
Les dessous de l'attaque sont un peu faciles, et expéditifs au regard des raisons menant à ces massacres, mais cela participe à un grand spectacle assez grand guignolesque à l'apparition de Curse. Dommage, néanmoins, que cela dure un peu trop longtemps : un épisode en moins aurait sûrement fluidifié l'ensemble.
A noter que les trois sagas du titre principal sont dessinées par Dwayne Turner, qui réalise là une belle prouesse qu'il faut féliciter. Son style est encore très marqué par les dessins de Greg Capullo à sa période Spawn, et il est ainsi influencé grandement pour réaliser des planches solides et sérieuses.
Les planches sont fluides, parfois un peu trop remplies, parfois un peu trop expédiées dans quelques détails, mais le rendu est globalement positif bien que très lié à son époque de sortie. Les femmes sont abusivement sexy, les flingues sont abusivement gros, la violence est abusivement gore et méchante ; c'est dans son jus, et il faut le prendre tel quel.
Le volume s'achève alors sur la mini-série Violator, sortie en trois épisodes en 1994. L'on y retrouve Violator dépossédé de son aspect démoniaque par Malebolgia, errant sur Terre dans son allure humaine de gros et gras clown vieillissant. Il s'attire l'inimité de plusieurs personnes, dont Vito Gravano avant sa chute, mais aussi de ses frères !
Violator fait partie de la Famille Phlebiac, et ses quatre frères en ont assez de l'opprobre qu'il jette sur eux. Ils viennent sur Terre pour le tuer, mais doivent aussi gérer un super-mercenaire envoyé par Vito : le Réprimandeur, qui vient « gronder à mort » un Violator prêt à tout pour survivre... et pourquoi pas retrouver ses pouvoirs au passage !
On le comprend rapidement, cette saga en trois parties est une production de récréation du célèbre Alan Moore. Celui-ci livre un scénario correct et efficace, cependant sans rien de la profondeur de ses autres créations, y compris son épisode dans la première intégrale où il posait les bases de l'Enfer dans la franchise.
Ici, Alan Moore s'abandonne à l'humour bête et méchant, en accentuant autant sur la bêtise des Démons que sur la méchanceté d'un Violator qui ne recule devant aucune bassesse pour survivre. Cela fonctionne, c'est fluide et dynamique, l'on ricane du mauvais esprit ambiant, et c'est un bon moment bourrin.
Graphiquement, Bart Sears et Greg Capullo se partagent les planches sans pleinement réussir à déterminer qui fait quoi. Les deux dessinateurs aux styles très prononcés n'ont pas encore atteint pleinement leurs niveaux, et le rendu graphique est efficace, mais quand même très bourrin avec peu de décors.
L'on peut néanmoins retenir des Démons Phlebiac bien représentés et diversifiés dans l'approche, avec des éléments communs. Bien joué.
En bref
La Malédiction de Spawn livre un deuxième tome plus jouissif et réussi que le premier, qui à mon sens était trop intense et trop dur dans sa violence et son nihilisme. Ici, aucun auteur ne s'est calmé, mais les situations vont tellement loin qu'elles en deviennent pleines de mauvais esprit, ce qui fait mieux passer l'ensemble. La lecture de ces histoires diversifiées est alors plus agréable, avec des ricanements jouissifs réguliers et surtout de très bons apports à la mythologie générale. Des épisodes qui nourrissent l'univers, et correspondent bien aux canons de l'époque en restant très corrects quasiment vingt ans après : bravo, et merci pour l'opportunité de les lire !
Positif
Un meilleur équilibre entre violence graphique et psychologique que dans le premier tome, via un mauvais esprit réjouissant, prenant et jouissif.
Des récits diversifiés bien menés, qui nourrissent bien l'univers.
Une continuité graphique agréable.
Negatif
Des intrigues qui traînent parfois en longueur, et une forme de redondance dans le traitement global.
Des numéros publiés en pleine vague des années 90, avec les tics d'écriture et de dessin d'époque, qui ont parfois mal vieilli.
Une légère frustration de ne pas en voir ou savoir plus sur les personnages après leur intrigue.
Laissez un commentaire
Commentaires (0)