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Critique de Gone

par Ben-Wawe le ven. 14 févr. 2025 Staff

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L'intense voyage d'une voyageuse clandestine involontaire, perdue dans un espace terrible, cruel et plutôt politique

Delcourt propose l'adaptation française de Gone, première série lancée par l'éditeur américain DSTLRY. Ce nouvel acteur des comics se concentre sur des productions en creator-owned, avec une grande liberté laissée aux artistes pour mener leurs projets. Delcourt a formé un accord avec DSTLRY, afin d'avoir la priorité en France et se lance ainsi pleinement avec Gone, dont le premier numéro est sorti en 2023 avec l'ensemble réalisé par Jock.
Cet auteur écossais, dont le vrai nom est Mark Simpson, a débuté sa carrière à 27 ans en 1999 en Grande-Bretagne, puis a montré ses qualités de dessinateur sur Hellblazer, 100 Bullets, The Losers, Detective Comics et plusieurs autres projets, généralement en format court. Il a également participé aux concepts graphiques de films comme Hancock, Battleship, Les Fils de l'homme, Dredd, Batman Begins & Ex Machina. Il débute depuis quelques années comme scénariste de ses propres histoires, comme Batman – One Dark Knight (lire la critique ici) et Gone est ainsi une belle proposition de sa part dans la science-fiction.
Un prologue a d'ailleurs été diffusé dans The Devil's Cut n°1, un one-shot proposant onze histoires courtes dont huit sont destinées à devenir des séries ou mini-séries ; un catalogue faisant office d'avant-goût pour les lecteurs, clairement, et dont l'on retrouve l'extrait ici.

Mais de quoi parle Gone ?
Dans un futur indéterminé, la misère règne partout et notamment sur un monde isolé, qui pourrait être la Terre ou une colonie. Des vaisseaux vont et viennent dans le spatioport, générant des rêves inaccessibles de nouvelles vies aux pauvres âmes qui survivent difficilement dans des bidonvilles. Beaucoup tentent leurs chances, non pas pour partir mais « juste » pour voler des rations parmi celles amenées dans les vaisseaux lors du ravitaillement.
Abi est une jeune fille de treize ans, qui mène plusieurs raids de ce genre afin d'aider sa mère, enceinte et abandonnée par le père ; qui n'est pas celui d'Abi, décédé plus tôt. L'adolescente est inquiète pour sa mère et le bébé, et elle veut profiter de l'arrivée du vaisseau qui est le fleuron de la flotte pour un vol de grande importance, afin d'avoir assez de rations pour rester longtemps au chaud et en sécurité. Elle rassemble autour d'elle quelques proches et alliés, mais ils doivent collaborer avec des saboteurs, qui veulent mener une révolte contre l'oppression des riches.
Hélas, les saboteurs mentent aux voleurs : ils ne les laissent pas dérober les rations, et attaquent tout de suite, forçant le vaisseau à partir plus vite... et il emmène Abi dans l'espace ! Commence ainsi un terrible parcours pour l'adolescente, obligée de se cacher dans les recoins de l'appareil, de grappiller des rations auprès d'un Chef de cuisine sympathique, et d'éviter les saboteurs mais aussi l'oppression d'un capitaine cruel et violent.
Abi va ainsi tout faire pour espérer rentrer chez elle, et sera confrontée à une relation étrange avec le saboteur Jay, à des révélations sur le capitaine et un mystérieux virus qui rôde...

On le comprend, Gone surfe sur des acquis connus et même reconnus en matière de science-fiction. Bien sûr, une jeune femme perdue sur un vaisseau dans l'espace, on peut penser rapidement à Alien, mais Jock a l'intelligence d'éviter le piège de la redite et de l'influence trop voyante.
Au contraire, son récit est celui d'une voyageuse qui se cache, d'un passager clandestin qui évite les rondes et le capitaine agressif et violent, mais dans un contexte spatial. Il s'attache ainsi essentiellement à Abi, le cœur de son récit dans le ton, l'approche, la voix-off et l'essence, mais développe quelque peu Jay et le capitaine, bien que ceux-ci restent assez basiques dans leurs caractérisations. Ce ne sont pas des clichés, mais plus des archétypes, qui permettent au lecteur de rapidement les identifier et de bien les intégrer à la lecture.

Jock fait aussi le choix de ne pas trop en dire, ni sur le vaisseau, ni sur ce futur lourd et désespéré, ni sur le virus, ni sur les raisons qui poussent les saboteurs et le capitaine à agir ainsi. L'on pourrait considérer que c'est une limite, mais cela correspond pleinement à l'idée de se caler uniquement sur la ligne et la vision d'Abi. Cela participe totalement à l'identification du lecteur à la jeune fille, et donc à suivre un récit à hauteur de cette pauvre femme, abandonnée ici pendant une période terrible, alors que le Temps se déroule différemment dans l'hyperespace et sur les mondes.
Néanmoins, si le projet est compréhensible et la mise en place réussie, car on intègre bien les troubles d'Abi et sa nervosité, le lecteur aurait malgré tout aimé plus d'éléments, plus de corps à ce monde lourd et oppressant. L'on imagine bien son fonctionnement, mais Jock est avare en détails, et si cela ne crispe pas, cela frustre quand même ; tout comme le virus et les révélations sur le capitaine, qui fonctionnent mais paraissent un peu faciles voire parachutées.

Cela ne gêne cependant pas la lecture d'ensemble, oppressante et dynamique, avec un final légèrement prévisible mais qui fonctionne fort bien. Un final doux-amer, qui créé un sourire de soulagement mais avec des peines et cicatrices pour ce qu'Abi a vécu jusque-là, pour réussir à arriver ici.
A noter également un discours politique discret mais constant, sur le traitement des masses par les élites, que cela soit pour la vie dans les bidonvilles ou sur le vaisseau. L'on sent bien un message de Jock sur les inégalités et les privilégiés, et ça fonctionne autant que ça pousse à la réflexion.

Graphiquement, l'ensemble bénéficie du trait si particulier et si prenant de Jock. Si son scénario est classique, à bonne hauteur d'Abi et dynamique, il fonctionne surtout en lien avec son trait et ses ambiances. Celles-ci sont particulièrement lourdes, oppressantes, nerveuses et dures, avec une Abi parfaitement brossée au fil de son évolution.
L'atmosphère est définitivement très bien travaillée, et est l'essentiel de la réussite de Gone, qui n'aurait sûrement pas été aussi agréable sans le trait de son artiste complet. Un bel exemple de fond et de forme qui se complètent, pour un projet bien réfléchi et donc bien réussi.

En bref

Jock propose une belle et bonne histoire avec Gone, un intense récit d'errance spatiale où la pauvre Abi donne tout pour survivre – face à la pauvreté du bidonville, face aux inégalités créées par les élites ensuite dans l'espace. Le scénario fonctionne très bien grâce aux formidables dessins et ambiances de l'artiste complet, qui glisse un bon message politique en parallèle d'une intrigue efficace, malgré un manque de détails qui frustre légèrement.

7
Positif

Une intrigue sèche et intense, à hauteur de jeune femme et très intense.

Un bon message politique.

Surtout, des dessins superbement adaptés et des ambiances prenantes

Negatif

Objectivement, un récit qui surprend peu malgré le plaisir de le lire.

La frustration d'un manque réel de détails sur l'univers.

Un sentiment d'avoir été proche d'une belle et bonne œuvre, si tout avait été plus finalisé dans le récit.

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Gone

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