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Critique de La brigade chimérique

par Lorca le mar. 24 juil. 2012

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La brigade chimérique doit être appréhendée dans son contexte, dans ses racines, pour mieux être appréhendée et comprise. Plus qu'une simple bande dessinée avec des supers pouvoirs, il s'agit d'un pari éditorial. Un pari osé, mais que l'on peut considérer comme réussi, même si ces 6 tomes n'ont pas connu l'engouement que l'on aurait pu espérer. 1) Genèse A l'origine du projet, on trouve Serge Lehman, auteur français de science fiction, qui a beaucoup sévi dans les années 90' avant de disparaitre (notamment pour des raisons personnelles) au tournant du siècle. Il est revenu sur le devant de la scène il y a quelqus années, en proposant une anthologie de neuf romans francophones écrit avant 1945, dans le genre que l'on connaissait alors sous le nom de "merveilleux scientifique" et qui avait été popularisé par Verne et Wells, et qui périra quelques années plus tard sous les efforts conjugués de l'impitoyable machine éditoriale qu'était la science fiction et de la désillusion croissante en les bienfaits de la science. Devenu spécialiste de cette période jusqu'alors oubliée, il a constaté que par un curieux phénomène, il n'existait pas de super héros français, hormis quelques rares exceptions très anecdotiques. Serge Lehman a donc imaginé qu'à l'instar du genre très français du Merveilleux Scientifique, les super héros s'étaient exportés outre atlantique en fuyant la montée du Nazisme, pour mieux revenir avec les libérateurs quelques années plus tard, sous une forme nouvelle qui garantissait leur anonymat. Pour concrétiser cette idée, il s'est adjoint le concours de Fabrice Colin, célèbre romancier français pour la jeunesse et l'adulte, et pas uniquement en science fiction d'ailleurs (il a récemment signé un nouveau tome de Elric, co-écrit avec Michael Moorcock, excusez du peu...) et Gess, que je connaissais jusque là pour les somptueuses couvertures avec lesquelles il ornait les ouvrages de l'Atalante, également éditeur de cette série. Bref, un trio de choc pour une histoire qui promettait des étincelles. 2) L'ère du Radiumpunk L'histoire se passe donc dans un monde proche du notre, mais légèrement différent, que l'on peut qualifier d'uchronique sans pour autant qu'il y ait de réel point de divergence décelable. On sait juste que les super héros vivent, combattent (et meurent) au grand jour, mais uniquement sur le vieux continent. La grande guerre de 14-18 a laissé de nombreuses séquelles sur l'Europe exsangue que nous découvrons, et les découvertes scientifiques n'ont rien arrangé, créant ex nihilo des êtres extraordinaires comme le Nyctalope, L'accélérateur et autres créatures à la limite entre l'humain et...autre chose. Certains ont des pouvoirs incroyables, d'autre une fortune colossale, une intelligence sans limite, des perceptions extra sensorielles, mais tous ont quelque chose en plus. Et, profitant de ces capacités, certains ont influencé le cours de l'Histoire en leur faveur, se forgeant des empires. Ainsi en est-il de la Phalange en Espagne, de Gog en Italie, du Docteur Mabuse en Allemagne ou encore de Nous Autres en Russie, tandis que les démocraties européennes sont protégées par les membres de l'institut du Radium, une organisation créée par Marie Curie suite à ses travaux sur la radioactivité, et repris par le couple Joliot-Curie à sa mort en 1934, et qui compte dans ses rangs le héros britannique "l'accélérateur" ou le "nyctalope" français, à qui a été confié la garde de Paris par Marie Curie. En effet, si la menace des états voisins n'est pas à prendre à la légère - les expériences du Docteur Mabuse et la construction de Métropolis sont assez inquiétant - le danger que représentent les héros apatrides mérite tout l'attention de l'institut du Radium. C'est à ce moment là qu'un homme sort du coma dans lequel il était plongé depuis la fin de la guerre et se révèle être le gardien de la brigade chimérique, un groupe de quatre créatures aux pouvoirs complémentaires, fragments de sa psyché rendus à la vie par le pouvoir du radium, et qui pourraient bien contrecarrer les plans des puissances maléfiques qui se dressent à l'Est. Mais le Nyctalope préfère croire en une alliance avec Nous Autres, gestalt aux dimensions d'un pays manipulé par une bande de psycogs férus de technologie - notamment de mékas représentant Staline - pour empêcher les pouvoirs de la superscience de faire sombrer l'Europe dans un chaos indescriptible. 3) Analyse La brigade chimérique est une évocation jubilatoire d'un pseudo âge d'or de l'Europe. Un âge d'or littéraire d'abord, puisque c'est l'avénement de certaines grandes oeuvres et aussi le début de la fin, mais c'est aussi à cette époque que sont nés les premiers supers héros sous la plume d'auteurs européens. Mais c'est aussi un âge d'or après la barbarie de la Grande Guerre, que l'on croyait être la dernière, et qui n'était en fait que l'introduction d'un conflit encore plus sanglant, qui s'est amené de manière beaucoup plus explicite que le précédent, sans que les masses et l'élite dirigeante ne veuillent s'en rendre compte. Se servant de cette époque comme d'un terreau fertile pour une intrigue riche en en complexités, notre duo d'auteur a cru bon multiplier les références historiques (communisme, nazisme, lutte des élites intellectuelles, neutralité outre atlantiste) et artistiques (Wells, Lang, Kafka, Zamiatine, etc) pour créer un univers tout à fait original, qui nous permet d'imaginer que les super héros sont nés en Europe que, peut être, captain América a commencé en tant que lieutenant Basse Normandie (chic, je sais). Le dessin est assez spécial. Entièrement colorisé, il affecte un style naïf qui rappelle bien l'art nouveau qui dominait à cette époque là et nous met clairement en opposition au franco-belge, qui commençait tout juste à se répandre. Les couleurs en semblent donc plus naturelles, comme faites à l'aquarelle, et ne permettent pas de gros effets spéciaux, ce qui n'est pas le but de cette histoire, qui mise plus sur son scénario que sur la virtuosité du dessinateur, qui sait se faire précis et méticuleux quand il le faut. Pour autant, on regrettera qu'une série qui se veut radiumpunk, c'est à dire un steampunk de l'atome, ne soit pas doté d'un univers graphique à la hauteur des ambitions scénaristiques. On a quelques belles scènes, les décors sont bien pensés, mais on ne peut s'empêcher de dire que Gess aurait pu essayer d'aller plus loin, de faire un truc totalement mégalomaniaque dans son délire techno-atomique. Cependant, ne boudons pas notre plaisir, la Brigade Chimérique est une bonne série de super héros, qui apporte une bonne explication à des questions qu'on ne se posait peut être pas forcément, grâce à une histoire soignée mais pourtant totalement dingue, puisqu'inspiré de la réalité.

En bref

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