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Critique de L'étranger du zéphyr #2

par Charlie One le jeu. 27 juil. 2017 Staff

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Pour ma 300e contribution écrite au site, j’avais dans l’idée de décerner un 4e coup de cœur à celle qui est rapidement devenue une de mes autrices de Yaoi favorites, Kii Kanna (L’étranger de la Plage, Qualia Under the Snow)… mais ce ne sera pas le cas car il y a pas mal de petites choses dans ce nouvel opus de L’Etranger du Zephyr qui m’ont fait grimacer.

Ce 3e tome (OS + T1 + T2) reprend l’histoire sur une situation plutôt gênante après que le petit Fumi surprit Shun et Mio en pleine relation sexuelle sur le canapé. Le pauvre môme en est pas loin d’être traumatisé et Mio, quant à lui, se retrouve dans le plus grand des embarras !

« Pourquoi tu mangeais son zizi ? » -- Fumi

Compte tenu de cette entrée en matière pour le moins burlesque, Kii Kanna s’empare de l’occasion pour présenter sa version de «l’homosexualité expliquée aux enfants » pour un rendu… hum… mitigé. D’une part, comme Fumi n’a qu’une petite dizaine d’années, l’explication prend une forme comique assez bien pensée où les questions innocentes et idées préconçues du garçonnet trouvent  en face un Shun, un brin blasé et farceur. Il n’est pas tant question d’expliquer ce qu’est l’amour ou le sexe que de faire passer le message « c’est comme ça et pas autrement » et puis tant pis si cela n’est pas universellement accepté. Cela débouche d’ailleurs sur une très belle scène où Fumi essaie à sa manière à rassurer son grand frère.

De l’autre, je me demande bien pourquoi, lorsque Mio est interrogé à son tour, cette réplique nous est assénée :

« Non. Moi, j’aime les filles » -- Mio

Plait-il ? Ça me fout en l’air. De mon point de vue, la question de l’orientation des personnages était réglée depuis bien longtemps… Shun est homosexuel et Mio, sans se définir explicitement comme bisexuel ou sexuellement fluide, avait exprimé son amour pour Shun et son confort pour de tels sentiments. Chose qu’il refait dans ce tome, par ailleurs. Et c’était parfait comme ça. Il aimait les filles et a découvert qu’il pouvait aussi aimer les garçons. Point. Ou pas, manifestement. J’ai la désagréable sensation de faire marche arrière avec celui-là. Ne peut-on être que l’un ou l’autre ? Est-il nécessaire de devoir justifier le fait d’aimer les deux sexes ? Ses paroles sont, à mon sens, bien dispensables tandis que l’insertion d’un simple « aussi » dans la réponse aurait TOUT changé. C’est tout de même pas bien compliqué, dites ?

Ca me rappelle la 3e saison de la série Torchwood dans laquelle l’un des personnages déclarait ne pas être gay mais qu’en l’occurrence, la personne qu’il aimait était un homme et que celui-ci était et serait le seul. En 2009, j’avais trouvé ça d’un romantisme absolu et d’une choupitude incroyable. Aujourd’hui, pas loin de 10 ans plus tard, je bataille encore avec le message que cela renvoie. J’ai comme l’impression que l’on force - comme dans beaucoup de Yaoi soit dit en passant - à libeller Mio comme hétérosexuel, « un vrai », tout en insinuant – et même plus que cela si on s’attarde un instant sur le flashback de la première rencontre - que sa relation avec Shun n’est tout au plus qu’un improbable accident, un coup du sort. Certes, c’est un bel accident, tout mignon et tout, mais cela reste un accident… Vous vous dites probablement que je me tracasse pour des « petits détails » quelque peu triviaux mais ce sont ces détails qui, me concernant, élève ou au contraire abîme la crédibilité des personnages et la beauté du lien qui existe entre eux. Et cela me paraît d’autant plus important quand l’objectif derrière tout ça est d’expliquer à l’enfant qu’est Fumi qu’il existe différentes sortes de personnes et d’amour ! Bref, je ressens de la déception.

On pourrait bien sûr me rétorquer que cela reste une fiction dans laquelle, a fortiori, Mio ne rencontre aucun problème pour assumer son affection et désir pour Shun et que, en définitive, c’est bien là l’essentiel ! C’est pas faux. Et c’est même vrai qu’il y a quelque chose de très beau et romantique à se dire que malgré une attirance exclusive pour le sexe opposé, Mio s’est laissé séduire par Shun pour finir convaincu que ce dernier sera l’unique garçon capable d’occuper son cœur. C’est juste que c’est une façon de voir les choses un peu simpliste. Kii Kanna, mais aussi les auteures de Yaoi en général, pourraient bénéficier d’un petit cours sur la fluidité sexuelle afin de diversifier le contenu de leurs bulles et éviter d'être aussi binaire… En gros, je suis partagé et n’arrive pas trop à déterminer si j’aime plus que je n’aime pas ou l’inverse. Et c’est encore plus compliqué de se décider avec un titre comme L’Etranger du Zéphyr pour lequel  j'attends de la perfection !

Cela étant dit, il n’y a pas que cette petite phrase de Mio qui m’ait fait tiquer dans ce tome, même si la suivante me fait réagir pour d’autres raisons. Abordons le cas de Shun, quelques instants :

« Je m’en veux de faire ce genre de choses à un garçon parfaitement sain comme toi. » -- Shun

Derrière cette phrase dont la violence me sidère, Kii Kanna continue ce qui a déjà été plus ou moins développé dans les tomes précédents, à savoir que Shun n’est pas quelqu’un qui se porte très très bien psychiquement. Et cela fait mal au cœur autant que cela frustre de continuer sur cette pente. Durant l’entièreté du volume, Shun traverse en effet un épisode dépressif important, qui était resté jusque-là relativement sous contrôle ; donnant une gênante sensation de faire du surplace avec le personnage. Entre l’impression de ne servir à rien arrivé à presque 30 ans, de s’être trompé de voie, d’avoir déjà raté sa vie à cause de son identité et cette p***** d’obsession pour la « normalité » qui ne lui correspond pas, on est au moins autant peiné par son état d’esprit alarmant qu’irrité de ne pas observer ne serait-ce qu’une petite amélioration ! Vous avouerez que c’est tout de même très énervant de voir un personnage se définir à demi-mot sale et corrupteur, en opposition avec un état de pureté imaginaire qu’incarnerait Mio. What. The. F*** !

Là encore, c’est entre deux ressentis que je me retrouve coincé. D’un côté, je suis satisfait que la dépression qui touche plus facilement les homosexuels – j’ai encore lu un article là-dessus pas plus tard que la semaine dernière… - soit abordée dans un Yaoi. Il est, bien entendu, possible que j’extrapole complétement ma lecture mais quelques traits caractéristiques en sont toutefois bel et bien visibles, tels que le repli sur soi et ce sentiment persistant d’abattement. Je n’ai, par exemple, pas l’impression d’avoir vu Shun sourire une seule fois au cours de ma lecture ! Ces éléments mettent également en relief l’égocentrisme du personnage dont une tendance à se focaliser sur ses seuls problèmes et à être bloquant vis-à-vis de ceux qui cherchent à le comprendre. Ce qui, franchement, n’aide pas à être emphatique avec le personnage. Prenons l’exemple assez invraisemblable de la sodomie pour laquelle Mio se rend compte que Shun ne prend pas autant de plaisir qu'il le pensait, dans la position du receveur. Shun en souffre physiquement mais se refuse à inverser les rôles en dépit des encouragements de son copain…. et fait difficilement sens quand il finit par se justifier. Shun est encore prisonnier d’un passé l’empêchant visiblement de lâcher prise...

Tout cela pour dire, et ça c’est mon problème, que cela ne reflète absolument pas l’idée que je me faisais de la suite de l’Etranger du Zephyr. Du fun, de l’amour, de l’évasion. Un peu de tristesse et de mélancolie peut-être… voilà ce que j’en attendais mais pas une telle apathie.

Il en ressortira quand même quelque chose de constructif, Mio finissant tout de même par confronter Shun sur son attitude bornée pour provoquer une réaction et profitant de l’occasion pour partager ses souvenirs, liés la perte de ses parents. Parsemés visuellement sur l’ensemble du tome 2, j’aurais préféré que les souvenirs de Mio ne soient pas noyés dans les tracas du quotidien et ceux de Shun mais l’essentiel est fait pour donner une épaisseur attendue au passé du jeune homme, duquel celui-ci ressort à la fois plus fragile et sensible que l’on imaginait mais également plus fort quand on constate le chemin parcouru jusqu’à présent.

« Papa [...] tu fais trop peur » -- Fumi

Quelques mots, enfin, sur les apparitions de parents de Fumi et Shun ainsi que de Sakurako. S’il n’y rien de concret à commenter concernant Mme Hashimoto, on remerciera son mari qui lui aussi fait une dépression – je blague pas – et qui malgré lui est assez drôle dans son mutisme. Kii Kanna n’insiste pas trop dessus mais on peut percevoir des efforts intérieurs de la part du paternel pour changer et être plus conciliant, en dépit de sa tête à faire peur. Pour ce qui est de la fidèle amie d’enfance, son (trop petit) rôle de grande sœur pour Fumi, lui va comme un gant et on apprécierait de la voir un peu plus par la suite.

En bref

Si je résume… je n’ai clairement pas été aussi emballé par ce tome, soufflant le chaud et le froid, que par les précédents. Kii Kanna m’y apparait plus maladroite qu’à l’accoutumée, faisant des choix scénaristiques qui me laissent indécis. Si le manque d’évolution visible chez Shun me donne notamment l’impression de tourner quelque peu en rond, je reconnais néanmoins la prise de risque dans cette décision de peindre ses personnages sous une lumière moins flatteuse et d’aborder plus ou moins explicitement un sujet fort comme la dépression chez les jeunes adultes, notamment homosexuels. A son coeur, L’étranger du Zephyr reste divertissant grâce à cette relation solide liant Shun et Mio, dans laquelle on se sent investi (cette case en page 176 <3) et que l'on espère voir encore grandir.

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