Il est rare de pouvoir utiliser avec exactitude le terme Roman Graphique lorsqu'on parle d'un recueil de comics. C'est pourtant le cas du premier tome de L'étrange Vie de Nobody Owens, adaptation du roman éponyme imaginé par Neil Gaiman (Sandman, Coraline) et adapté ici par son ami P. Craig Russel (Murder Mysteries) avec l'aide d'artistes prestigieux parmi lesquels Kevin Nowlan, Tony Harris, Scott Hampton, Galen Showman, Jill Thompson et Stephen B. Scott. Nobody Owens est le seul pensionnaire humain du cimetière. Éduqué dans un coin où transpire la magie, Bod peut compter sur sa curiosité innocente et les leçons de son tuteur, le vampire Silas, et des habitants des tombes pour l'aider à traverser les épreuves de la vie (entre les goules, sorcières et autres vouivres) jusqu'à sa prochaine rencontre avec le mystérieux assassin de ses parents connu sous l'alias du Jack ! A travers ce récit fantastique, c'est à un véritable exercice d'adaptation que s'attaque P. Craig Russel et dans lequel, force est de constater, il excelle. Il y fait une utilisation judicieuse des bulles de dialogue en complément de récitatifs fournis*. Ce faisant, il tire parti des deux supports, du comics et du roman, pour inscrire une œuvre à mi-chemin; véritable roman graphique plus proche, dans l'idée, d'un livre illustré pour enfant. L'auteur opère dans la droite lignée de son compère Neil Gaiman, féru de contes pour petites têtes blondes qu'en bon anglais il n'oublie jamais de mâtiner d'une légère forme d'épouvante (il suffit de lire les premières pages pour s’apercevoir que le livre ne peut pas être mis entre toutes les pognes sans surveillance). Il s'agit pourtant d'un livre facile d'accès sur la forme qui peut se partager par les plus aguerris avec les plus jeunes novices. Coté édition, Delcourt conserve le grand format voulu par l'éditeur anglais Harper Collins, renforçant un peu plus l'aspect ''livre de contes luxueux'' de l'objet. Mais cet étalage de grande taille permet surtout de mieux profiter des magnifiques planches réalisées par des artistes talentueux qui, sans jamais troquer leurs styles, parviennent à conserver une unité graphique sous la palette du coloriste Lovern Kindzierski (un habitué des œuvres de Gaiman et ami personnel de l'auteur). Le tout est compilé dans un objet solide, agréable à ouvrir comme à tenir. Preuve s'il en est besoin de l'efficacité sobre des éditions Delcourt**. Ce premier volume de L’Étrange Vie de Nobody Owens est un exercice accompli aux péripéties renouvelées à chaque chapitre et flattant la rétine à chaque page. Il ravira jeunes et moins jeunes dans la plus grande tradition des contes de Neil Gaiman. Les fans de littérature fantastique anglaise ou de comics en général devraient facilement y trouver leur conte. _______________________________________________________ *En aparté, Wes Anderson utilisent une technique similaire avec une narration en voix off plus importante que la somme des dialogues. Ce faisant, il confère une ambiance décalée, voire magique, à ses films qui baignent pourtant bien souvent dans une réalité des plus blasées (c.f. La Vie Aquatique, The Grand Budapest Hotel). **Malgré quelques erreurs d'inattention. L'artiste Kevin Nowlan n'est pas crédité par exemple.