Viens Dans Mon Comic Strip : Captain Johner and the aliens

Jean-Marc Lainé nous parle cette fois-ci d'une oeuvre de science-fiction marquante.

CAPTAIN JOHNER AND THE ALIENS

Alien fraîche !

 

 

Magnus Robot Fighter a fait une carrière tout à fait méritante aux États-Unis dans les années 1960. Connue dans nos contrées sous l’appellation Magnus An 4000, la série a été publiée par les Éditions des Remparts (d’abord dans Héros de l’Aventure, dont le sommaire tournant accueille également Star Trek ou Turok, puis dans Magnus An 4000) qui proposent l’intégralité du sommaire américain, choix éditorial à quoi on doit la découverte de l’histoire de complément, Captain Johner and the Aliens.

 

Resituons le contexte.

Dans les années 1960, l’éditeur Gold Key (qui, au fil de rachats et de partenariats, a porté plusieurs noms, comme Western Publishing ou Dell Comics) trône au sommet des ventes avec des séries grand public inoffensives. Au catalogue, les aventures exotiques de Tarzan, des adaptations de séries télévisées ou de dessins animés, et des récits de science-fiction. Gold Key place régulièrement un ou plusieurs titres parmi les dix meilleures ventes du mois, devant quelques titres de DC Comics et la plupart de la production de Marvel. Certes, les choses vont bientôt changer à mesure que les personnages colorés et modernes de la Maison des Idées envahiront le podium, mais pour l’heure, l’éditeur produit certains des comic books les plus populaires du moment.

Magnus Robot Fighter est l’un des succès de Gold Key du milieu des années 1960. L’élément fort de la série, c’est Russ Manning, dessinateur au style épuré et élégant, à la narration limpide, que l’on pourrait qualifier de « ligne claire américaine ». Dessinateur de Tarzan dans la foulée du légendaire Jesse Marsh, Russ Manning sera le seul dessinateur à œuvrer à un moment ou un autre de sa carrière sur le strip quotidien, le strip hebdomadaire et la série de comic books du roi de la jungle (sans compter quelques albums pour le marché européen). Sur Magnus, il assure seul scénario (parfois assisté de co-scénariste) et dessin, s’émancipant du travail de Gaylord Du Bois, dont l’influence pourtant, on le verra, se fera encore sentir.

Magnus Robot Fighter paraît en février 1963. La série propose les aventures d’un justicier vêtu à la romaine, maîtrisant un art martial futuriste et combattant savants fous et robots émancipés bien décidés à réduire l’humanité en esclavage. L’univers présenté est celui d’une vaste cité, à l’échelle d’un continent, North Am, où vivent des populations d’humains servis par des robots voués à toutes les tâches subalternes. Situé dans un lointain futur après un cataclysme indéterminé, l’univers de North Am brosse le portrait d’une société de loisirs et d’oisiveté dépendante de la technologie, dont la surface lisse, propre, immaculée, dissimule un grand nombre de dangers et laisse planer le doute sur le prix à payer pour une paix si universelle. D’une certaine manière, North Am est une version positive, utopique et pourtant toujours angoissante, de ce que Mega City One, où Judge Dredd fait régner la justice, proposera durant la décennie suivante.

Une partie du sel de Magnus Robot Fighter repose sur la relation conflictuelle à l’altérité, à la différence, à l’autre. Magnus affronte des intelligences artificielles néfastes (fédérées autour de la planète Malev-6 peuplée de robots), mais une partie de ses aventures le conduit dans des régions lointaines à la rencontre de civilisations différentes (souvent orientales). Et si ces voyages permettent de construire un monde plus vaste et plus riche, ils fonctionnent selon des schémas conflictuels, l’autre étant l’occasion d’une inquiétude, voire la manifestation d’une hostilité. L’autre (le robot face à l’homme, l’oriental face à l’occidental, voire le savant face au militaire…) entre ici avec son cortège de soupçons et de menaces.

Ce préambule un peu long n’est pas innocent.

Il permet de situer la back-up, Captain Johner and the Aliens, aux antipodes de la série principale. La série met en scène un équipage humain de cosmonautes explorant le cosmos avec, dans ses rangs, des extraterrestres partageant leurs aventures. Ces derniers, les fameux « aliens » du titre, devenus les Étrangers dans la version française publiée par les Éditions des Remparts, ne sont pas humanoïdes. Ils s’apparentent davantage à des salières géantes flanquées de lanières préhensiles. Les deux espèces, fort dissemblables, sillonnent le cosmos, rencontrant des intégristes peu disposés à les accueillir, explorant des planètes hostiles et allant même jusqu’à voyager dans le temps. Ensemble, ils apprennent les secrets du cosmos et se protègent mutuellement des agressions. La série évite le paternalisme en montrant bien que les humains et les étrangers se portent assistance à tour de rôle. Les terriens n’occupent pas le rôle central, mais partagent la vedette avec les extraterrestres.

 

 

Ces créatures venues d’une autre civilisation galactique représentent une altérité positive, amicale, inversant le discours discrètement paranoïaque de Magnus Robot Fighter. Russ Manning y développe un propos opposé, mettant en avant l’entraide, le partage des connaissances et l’assistance mutuelle. Dépassant la simple tolérance (et donc le mépris qui va avec), les membres d’équipage construisent avec leurs partenaires d’une autre planète une véritable fraternité.

Captain Johner and the Aliens paraît dès le premier numéro de Magnus Robot Fighter, à raison de quatre pages par fascicules. Les premières aventures sont des récits stand-alone, mais bientôt, Manning lance l’équipage mixte dans des sagas à suivre. La série est aussi l’occasion pour lui de mener diverses expériences graphiques. Le contexte de science-fiction lui offre un espace de liberté plus grand que les paysages exotiques de Tarzan, et Manning profite de Magnus et Johner pour jouer sur l’impression, sur les formes sans contours, sur les taches de couleurs, représentant ainsi des espaces-temps différents, peut-être non-euclidiens. Certains passages font presque songer à des topographies escheriennes, à des géométries indicibles, et laissent imaginer ce que Manning aurait pu donner sur des univers à la Doctor Strange (où Paul Smith, l’un de ses fils spirituels, a laissé une interprétation de premier ordre).

 

 

Seul maître à bord, il renoue pour l’essentiel avec un discours qu’il avait illustré au début de sa carrière, quand il travaillait sur la série Brothers of the Spear. Parue en back-up de Tarzan entre 1951 (#25) et 1966 (#161), cette série novatrice et progressiste raconte les aventures de deux jeunes guerriers africains, Natongo le noir et Dan-El le blanc, luttant côte à côte contre l’injustice. L’exploit n’est pas mince, dans l’Amérique de la ségrégation, que de présenter un héros noir sur un pied d’égalité avec son partenaire blanc.

Manning signe ses premières planches sur cette série, remplaçant Jesse Marsh. Il illustre à cette occasion des textes de Gaylord Du Bois, scénariste chrétien dont les travaux sont teintés des exigences de partage et d’écoute que demande sa foi. Nul doute que cette première série aura marqué Manning, qui renoue avec le thème. Cette fois-ci, l’autre n’est pas un jeune guerrier noir mais une équipe d’extraterrestres à l’allure inhumaine. Ce faisant, il réitère l’exploit, cette fois-ci en pleine période de Guerre froide.

Plus étonnant encore, en paraissant début 1963, Captain Johner and the Aliens devance d’environ trois ans Star Trek, jalon incontournable de la coopération, de la cohabitation pacifique et de la main tendue dans l’imaginaire science-fictionnel. Ce faisant, la série développe ce qu’André-François Ruaud avait qualifié, en parlant de Star Trek, de « science-fiction humaniste ». Série un peu oubliée de nos jours, Captain Johner aura connu deux rééditions en 1995 chez l’éditeur Valiant, sous couverture de Paul Smith, parfait successeur de Manning dans la description d’un futur immaculé et rutilant. Une nouvelle réédition ne serait pas de trop, la série étant difficile à trouver dans l’édition (tout à fait correcte) française, et proprement introuvable en anglais.

Dans l’édition française, justement, les Éditions des Remparts, par mesure d’économie ou par souci de facilité, ont reproduit des pages d’humour et des courriers des lecteurs de l’édition américaine. Magnus An 4000 #4 contient le matériel de Magnus Robot Fighter #10, dans lequel on trouve un dessin de lecteur, à la finition impeccable et à la signature en forme de dinosaure : un certain Simonson.

 

 

La transition est toute trouvée pour annoncer la prochaine chronique, au cœur de laquelle Walt Simonson tiendra un rôle central.


Source:

Jean-Marc Lainé, auteur, traducteur et responsable éditorial dans le monde des comics. Il a écrit récemment le livre : Comics & Contre-Culture, disponible à ce jour.

Articles en relation
Red Skin vu par Jim Lainé

Red Skin vu par Jim Lainé

ven. 22 mars 2019
VIENS DANS MON COMIC STRIP : SPÉCIAL NOËL - Les Super-Juniors

VIENS DANS MON COMIC STRIP : SPÉCIAL NOËL - Les Super-Juniors

mer. 21 déc. 2016
C'est noël avec Jim et les super-juniors !...
Commentaires (0)