L'étude poursuit l'analyse des différents éléments de la carte MULTIVERSITY en partant du centre pour se diriger vers l'extérieur. Elle devrait permettre aux lecteurs de relier les points essentiels de l'œuvre de Grant Morrison.

 La carte du Multivers. Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

WONDERWORLD

Présenté dans l'arc prototype Rock of Ages (JLA #10-15), Wonderworld rassemble les Hyperhéros primaires créés par les anciens Dieux (ceux qui précédèrent les Néo-Dieux). Il sont dévoués à l'ordre et attendent l'apparition du mal ultime, Mageddon, au sein de la Theocracy dirigée par Adam One.

On remarquera la ressemblance qui existe entre le corps d'acier de Adam One et la statue protégeant le multivers dans laquelle s'incarne Superman et Ultraman, le bien et le mal ultime, pour défaire Mandrakke (dans Superman Beyond). Son nom fait aussi référence à la genèse (Adam Premier), il serait donc la première création à l'image de l'Homme (comme la statue dressée par le Monitor Original).

LA SPHERE DES DIEUX

Au dessus de Wonderworld se situe La Sphère des Dieux où se mêlent les mythes liés aux croyances humaines. La cinquième dimension que Morrison décrit comme la dimension de l'imaginaire ne doit pas être loin.

Sur cette sphère se côtoient les dieux de d'Olympe et probablement d'autres Panthéons. Ils vivent sur le Mont (Skyland) et dans les Abysses (Underworld). Leur mythologie servira souvent de modèle aux super-héros DC avec lesquels ils entretiennent certaines similarités: ils vivent cachés, sont aussi puissants qu'immortels et ils sont pourvus d'une origine/naissance naturelle. Morrison en viendra souvent à comparer la Ligue de Justice aux déités gréco-romaines (Superman = Zeus, Batman = Hades, Flash = Mercure, etc...).

Les dieux Grecs retrouvent une place importante lors de la redéfinition ''New 52'' de Wonder Woman par Brian Azzarello et Cliff Chiang. L'amazone découvre alors qu'elle est ni plus ni moins que la fille de Zeus, et que, par conséquent, le panthéon est sa famille. Elle finit éventuellement par entrer en guerre contre la plupart des membres de la fratrie et emprunte même la fonction de Dieu de la Guerre à son oncle Ares.

Mister Sandman, Give Me a Dream....

Dans l'alignement de l'Ordre se trouve l'Espace-Rêve présenté dans l'inoubliable série Sandman (Vertigo) du compatriote Neil Gaiman. Sandman/Dream ou Morpheus est le roi de l'Espace-Rêve dans sa globalité. Il comprend donc, par définition, le domaine des cauchemars.

On peut penser que la Miséricorde Noire de Mongul, plante qui se nourrit des cauchemars des super-héros, doit tenir une place privilégiée dans ses jardins (Superman Annual #11: For the Man Who Has Everything). 

Si le Marchand de sable est aussi élevé dans la hiérarchie du multivers, ce n'est pas innocent. Il fut conçu, lui et sa famille, les Éternels (Destiny, Destruction, Désespoir, Désire, Délire et, bien entendu, la magnifique Death), comme les entités primordiales qui donnèrent naissance aux mythes. Par exemple, si Annubis est la mort égyptienne, Death est la Mort avec un grand M, celle qui vient pour tous, même pour les dieux.

De ces rares implications dans l'univers DC (Gaiman se montrant archi-protecteur envers sa création), Sandman fait une apparition remarquée dans la série JLA en aidant la Ligue à sauver le monde du conquérant extra-terrestre Starro (JLA #22-23).

Superman contre un archange: qui gagne ?

Le Paradis a toujours tenu une place importante chez DC Comics. C'est dans More Fun Comics #2 en 1940 qu'apparait pour la première fois Le Spectre présenté comme le fantôme de Jim Corrigan dont l'accès à la Cité d'Argent lui fut interdit par La Voix (première mention de Dieu). Il sera révélé plus tard que Le Spectre est en fait Aztar, l'ange de la vengeance. Il fut banni par dieu lorsqu'il prit part à la célèbre révolte de Lucifer.

Dans les années 90, Grant Morrison utilise lui-même les Anges du paradis comme ennemi de la Ligue (JLA #6-8). L'histoire présente l'ange gardien Zauriel qui, par amour pour une femme humaine, déserte l'armée de Dieu dans les règles. Il est alors poursuivi par le Pax Dei¹, un groupuscule d'archanges extrémistes chargés d'effacer Zauriel de la Bible en lui professant la bonne parole.

Lors d'un combat spectaculaire entre Superman et le général traitre Asmodel, le lecteur entrevoit déjà le remplacement des anciennes figures divines que provoquera finalement Morrison avec Final Crisis. Quant à Dieu, il est fait mention au trône vide de La Présence car Dieu en tant que présence est en tout un chacun.

Neil Gaiman fait une distinction entre la Cité d'Argent et le Paradis dans le récit Murder Mysteries (publié par Dark Horse) qui raconte l'enquête de l'ange Raguel - possiblement le futur Spectre - sur le premier meurtre au paradis. En conclusion, l'histoire présage les première frictions entre Dieu et l'ange Lucifer, ce dernier trouvant le premier trop dur dans la punition infligée au coupable.

L'Enfer de DC Comics est fortement inspiré par les croyances Abrahamique. Il est dépeint comme la destination finale, endroit de punitions et de châtiments. Il faudra attendre le quatrième numéro de la série Sandman en 1989 pour y découvrir sa hiérarchie. L'Enfer est dirigé par un triumvirat composé de Lucifer, Belzebub et Azazel auquel viendra s'ajouter Le Premier Tombé, celui qui précède Lucifer, créé par Garth Ennis dans la série Hellblazer pour ne pas marcher sur les plates bandes de Neil Gaiman.

Avant la Renaissance de DC Comics, le scénariste Keith Giffen a orchestré une guerre au sein de l'Enfer dans la série Reign in Hell. Elle se termine sur sa division en neuf royaumes: Pandemonia, Odium, Gull, Praetori, Internecia, Ament, Labyrinth, Err, Purgatory et The Selvage. Ils font bien entendu référence aux neuf cercles de l'Enfer imaginé par Dante Alighieri dans La Divine Comédie. Chaque cercle représente une punition pour un pécheur bien défini (le cercle de la luxure, de l'avarice, de la colère, etc.). Ironiquement, le premier cercle chez Dante est celui des Limbes - où se retrouvent ceux qui ont perdu la foi - que nous retrouveront plus haut dans la hiérarchie du multivers.

Grant Morrison n'utilisera jamais l'Enfer ''mystique'' dans ses récits grand public. Pas plus qu'il ne réutilisera le Paradis. Il leur préférera les versions cosmiques déployées par Jack Kirby dans la saga Fourth World dont il tombe amoureux tardivement (se disant effrayé par le trait de l'artiste dans sa jeunesse).

Le photo-montage chez Kirby – ''La destruction de New Genesis'' (1984)

De la mort des anciens dieux naissent deux corps célestes: New Genesis et Apokolyps. Le premier est formé à partir des cellules de Baldur et abrite les Néo-Dieux harmonieux du cosmos. C'est sur cette planète que vivent le soldat Izaya et sa bien aimée Aya. Le second corps, rocailleux, créé à partir des restes de la Sorcière, est le monde des Néo-Dieux du mal, faisant fonctionner à plein régime leurs puits de feu pour le despote Darkseid à la recherche de l'équation d'anti-vie qui lui permettra d'asservir le(s) monde(s). Lorsque ce dernier assassine Aya sur les terres paisibles de New Genesis, une Guerre éclate entre les deux mondes. C'est sur le champ de bataille que Izaya découvre les secret de la Source et devient le Haut-Père qui appelle à la paix entre les peuples.

La trêve entre les deux mondes est entretenue par l'échange des premiers fils. C'est ainsi qu'Orion, fils de Darkseid, est éduqué sur New Génésis pour devenir un de ses plus grands défenseurs, alors que Scott Free alias Mister Miracle, fils légitime du Haut-Père, n'aura de cesse de fuir le monde désolé d'Apokalyps.

Vient ensuite la Crise Finale dont nous avons déjà abordé le sujet plus tôt et qui aboutit sur la naissance du Cinquième Mondes protégés par ses Nouveaux-Néo-Super-Dieux. Pour plus d'informations sur le déroulement et les enjeux de Final crisis, il suffit de lire l'excellent article de Photonik.

Lors de la Renaissance DC, les origines de Darkseid et du Haut-Père sont révisées par Greg Pak (Superman Saga #5). Il décrit un monde de dieux irresponsables (un thème que le co-scénariste de l'excellente série The Incredible Hercules maitrise) où le fermier Uxas/Darkseid joue le rôle d'un tueur de géants, dézinguant sauvagement les déités avant de se hisser au stade de Néo-Dieux en inspirant les Kirby-Krackles². La seule personne capable de l'arrêter est son beau-frère Izaya, présenté comme un inapte qui agit en contradiction avec son destin (il sera même traité d'imbécile par un des dieux qu'il vénère).

Lors de cette réécriture ''roublarde'' qui le caractérise (dès les premières pages, les dieux détruisent tout un village en faisant... des galipettes!), Pak s'amuse à déstabiliser les nouveaux et les anciens lecteurs (ceux ayant découvert le Darkseid de la Justice League et ceux soudés à l'origine de Kirby) en faisant du Mal absolu le ''héros'' de l'histoire !

LES LIMBES

Destination très connue des fans de Morrison, c'est pourtant au scénariste Keith Giffen que l'on doit la création des Limbes dans la série délirante Ambush Bug (1985). Dans le troisième numéro, Jonni DC (mascotte dont le corps est composé du logo de l'éditeur) intervient comme un policier de la continuité en envoyant les personnages désuets dans les limbes.

De fait, les Limbes sont l'endroit où se retrouvent les héros et vilains oubliés de DC Comics. Lorsque Buddy Baker les visite dans Animal Man #25, il retrouve les nombreux héros de l'âge d'argent qui n'ont pas survécu au passage de la tornade Crisis on Infinite Earths. C'est le cas de Merry Man, futur roi de Limbo, qui révèle à Buddy qu'il ne pensait pas le revoir de si tôt. Car avant de devenir le héros d'une nouvelle série supervisée par Grant Morrison et Chas Truog, Animal Man avait sombré dans les limbes comme beaucoup de personnages pré-COIE (Crisis On Infinite Earths).

Sur place, il rencontre aussi le Singe écrivain destiné à libérer tout les habitants des Limbes en les réintroduisant dans la continuité de l'univers DC Comics (quel meilleur moyen que de relancer tout ce beau monde qu'au détour du multivers ? On y reviendra...). Si les monitors représentent les responsables éditoriaux insatiables et souvent inutiles, le singe fait figure de scénariste exploité, source de toutes les histoires jamais conçues.

Lorsque Superman et Captain Marvel visite les Limbes dans le diptyque Superman Beyond, les deux héros mettent la main sur un Livre qui comprend toutes les histoires passées, présentes et à venir (probablement écrit par le même singe). C'est en le feuilletant que ces deux derniers apprendront les origines du Monitor Original et de sa descendance. Le livre est similaire au Livre de la Destinée appartenant à l'ainé des Éternels, Destiny, qui surplombe l'espace des rêves et les Limbes (Overvoïd).

LA SPHERE DES MONITORS

Les monitors sont les enfants du Monitor Original. Habitant Nil, ils se nourrissant de la plaie comme des vampires pour survivre. Dans Superman Beyond #1, il est dit que les Monitors furent, à une époque, innombrables, ce qui laisse supposer qu'avant de se confiner à 52 univers, et donc avant la Crise de 1985, le multivers était infini.

Parmi eux, il y a Dax Novu, le premier fils et premier explorateur de la plaie. Lors de ses divers voyages dans le multivers, Novu devient Mandrakk, le Monitor corrompu. A l'époque, Il est supposé que Dax Novu et l'Anti-Monitor ne font qu'un, mais ça ne sera jamais certifié.

A l'opposé, le dernier de la fratrie, Nix Uotan, banni par ses pairs pour la destruction de la Terre-51. Il sera révélé plus tard que Uotan avait été piégé par son père Mandrakk. Errant amnésique sur la Terre-0, Uotan recherche le mot qui lui permet de libérer ses pouvoirs – en fait le nom de son amoureuse – pour devenir le Superjuge de tout ce qui est mauvais.

En conclusion de Final Crisis, il fait comprendre leurs erreurs aux Monitors: en voulant interagir avec le multivers, ces derniers le mettent en danger. Leur monde s'efface alors et Nix Uotan de dire une dernière fois au revoir à sa bien aimée avant de se réveiller sur la Terre-0 !

On retrouvera Nix Uotan dans le premier numéro de Multiversity. Fan de comicbook, il subit le même sort que son père en étant infecté par les parasites du multivers. Il est d'ailleurs amusant de noter que la renaissance de Uotan se fait à l'aide d'un dispositif emprunt à Marvel/Major, l'Oeuf Genesis, mélange entre une Gemme du pouvoir et l'œuf du Phénix que Morrison utilisait déjà en conclusion de New X-Men. Marvel, nouvel antre du mal ?

LE MUR SOURCE

''Ici se situe la limite de la pensée. Au delà réside seulement le Monitor Original, la Source et l'inconnu.''

Le Mur Source fut imaginé par Jack Kirby comme étant ce qui se rapproche le plus de Dieu, une puissance démiurge et omnipotente protégeant la Source. Toute personne essayant d'y accéder échoue indubitablement en étant transformée en statue de pierre.

C'est lors du crossover Uncanny X-Men and The New Teen Titans (1982) que le Mur connaitra sa plus importante modification en étant littéralement présenté comme une cloison géante composée des corps solidifiés de ceux qui tentèrent de s'emparer de la Source.

Lorsque Morrison s'attaque à la redéfinition du multivers, il associe les deux visions en faisant du Mûr Source 1) un contenant de l'intégrité du Multivers et 2) une partie de l'entité divine connue comme le Monitor Original. En fait d'entité démiurge, il est ce sur quoi repose le multivers, la page blanche sur laquelle les idées sont illustrées et sondées à l'aide de ''vaisseaux-nanotechnologies''. Ici, Morrison rassemble tous les vaisseaux gargantuesques comme Le Transporteur de The Authority, mais aussi l'Echo de Minuit et l'Ultimate Thule (Final Crisis) ayant tous un but bien distinct (exploration, destruction, drainage, chasseur, communication, etc...). Le Chariot de Asmodel (JLA #6-9) en fait probablement partie.

On notera aussi l'apparition de quatre faisceaux qui joignent directement la Source au centre du multivers. Si certains pensent qu'il s'agit des drains permettant aux Monitors de se nourrir de la plaie, il est fort possible que ce soit en fait le passage où la source injecte de nouvelles idées à l'intérieur du multivers.

Quant à l'inconnu, il s'agit des lecteurs qui se trouvent au delà du Mûr du Quatrième Monde, surveillant les mondes lors de leur lecture passionnée. Ils sont au même stade que les créateurs (scénaristes, dessinateurs, encreurs, coloristes, éditeurs, etc.) qui alimentent le Monitor Original, mais ils agissent passivement. Sauf, exceptionnellement, lorsque ''Quatrième Mur'' est brisé, une constante chez Grant Morrison...

''lire le prochain chapitre !''

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¹ Pax Dei: la Trêve de Dieu ou Paix de Dieu: mouvement catholique qui consistait à pacifier et à évangéliser les peuples avec tout le zèle qu'on lui connait.

² Kirby-Krackle (ou Craquelure de Kirby) est un terme américain désignant les émanations d'énergies en forme de craquelure typique de Jack Kirby qui entouraient les corps de ses héros.