TUMATXA : L'EMISSION ! - EPISODE 29 : Dedans, le blues des mutilés
Avant-dernière émission de la saison pour « Tumatxa! »… eh oui, déjà !! La semaine prochaine, on se retrouvera pour le « grand finale », qui comme le veut une tradition informelle sera plus généreux encore qu’à l’accoutumée. Mais si vous me permettez ce vilain mouvement d’immodestie, le programme de cette semaine déchire déjà tout !
Cinéma, littérature, BD, le tout en musique : ici on appelle ça la formule classique, entrée plat dessert.
Pour le cinoche, à la faveur de son exposition maximale au Festival de Cannes via la diffusion de son troisième et dernier long-métrage en date (« Résurrection », qui sortira en salles le 15 octobre prochain ; notez ça quelque part), revenons donc sur le corpus du prodige chinois Bi Gan, dont nous avions déjà évoqué le deuxième long, l’incroyable « Un long voyage vers la nuit ». Cette fois-ci, c’est son premier film, le sublime « Kaili Blues », qui nous intéresse. Si à bien des égards ce premier long est un peu le prototype de son formidable successeur dans la filmo du jeune maître (nous verrons pourquoi), « Kaili Blues » est tout simplement déjà un immense film, qui inscrit Bi Gan dans une généalogie prestigieuse (de Tarkovski à Weerasethakul) et fait la démonstration d’une maîtrise formelle et d’une profondeur thématique peu communes. Chen recherche son neveu Weiwei, entre autres quêtes existentielles, et atterrit dans l’étrange village de Dangmai, que nous explorons avec lui à la faveur d’un plan-séquence de… 41 minutes au pouvoir de fascination sans égal. Et le temps de sortir de ses gonds… Incroyable cinéaste, incroyable film. Point.
Pour la littérature, revenons sur le corpus de l’américain Brian Evenson, l’une des plumes les plus intéressantes de la littérature « de genre » (lui-même renierait cette définition mais soyons commode) contemporaine. Si jusque-là nous nous étions plutôt intéressés au pan science-fictionnel de l’oeuvre d’Evenson, cette fois, c’est une autre facette de sa production qui va nous intéresser ; en effet, « La Confrérie des Mutilés » est à la fois un polar hard-boiled dans la grande tradition américaine mais aussi un thriller horrifique (mâtiné d’action pure), dans un mélange des genres assez commun pour cet auteur. Kline est donc le détective privé hard-boiled archétypal, avec un signe particulier qui pèse lourd : il a perdu sa main droite lors d’une mission qui a mal tourné. Le voilà contacté par un étrange mouvement religieux, la confrérie du titre, dont les membres sont adeptes de l’auto-mutilation et considère Kline comme une sorte de héros ; ça tombe bien, un meurtre a eu lieu dans la confrérie, et il y a une enquête à mener… A la fois très bourrin (c’est d’une violence peu commune et pas très sophistiqué en termes d’intrigue policière) et très subtil (le fond théologique du roman, qui témoigne du background religieux de l’auteur, mormon « repenti »…), voilà un drôle de livre, horrifique, et étonnamment drôle à sa façon.
Pour la BD, encore un sublime objet édité par 404 Graphic, en l’occurrence le très remarqué (à juste titre) « Au-dedans » (« In » pour la VO) de l’excellent Will McPhail, auteur écossais connu essentiellement pour l’instant pour son travail de cartoonist au fameux « New-Yorker ». « Au-dedans » narre les tribulations de Nick, bédéaste trentenaire (tiens tiens, comme McPhail… mais l’auteur lui-même relativise le parallèle) pris entre relations affectives éphémères et coffee-shops branchouilles ; il découvre que la profondeur de véritables relations humaines, basées sur l’exploration de l’au-dedans de ses interlocuteurs, lui manque… c’est alors que des nuages noirs s’amoncellent à l’horizon. Extrêmement drôle dans un premier temps puis violemment poignant dans un second temps, « Au-dedans » est la démonstration de la maîtrise formelle insensée de McPhail, ainsi que de ses talents d’écriture (quels dialogues, par exemple !). Un succès amplement mérité : McPhail travaille actuellement sur un autre projet du même type, on a hâte de lire ça.
Le tout ne serait pas un tout sans la bonne musique qui va avec : à la faveur de sa ressortie en vinyle, on célèbre les 20 ans du mal-aimé « With Teeth » de Nine Inch Nails, avec le beau « Beside You In Time » qui en est issu ; les franciliens de Bank Myna sortent un merveilleux deuxième album, « Eimuria », dont est extrait le dantesque « My Shadowed Body » ; les finlandais d’Hexvessel, mené par le britannique Mat « Kvohst » McNerney, reviennent avec « Nocturne », et on écoute pour la peine le ténébreux « Unworld » ; enfin, c’est déjà le moment de retrouver les Swans avec un nouvel album, « Birthing », dont on écoute le monumental morceau inaugural, « The Healers » !!!
« Now that I’ve decided not to stay
I can feel me start to fade away
Everything is back where it belongs
I will be beside you before long »
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